Critique de Les Filles d’Olfa

Un film de
Kaouther Ben Hania
Sortie
5 juillet 2023
Diffusion
Cinéma

FESTIVAL DE CANNES 2023 – La réalisatrice Kaouther Ben Hania, dont La belle et la meute s’était fait remarquer en 2017 dans la sélection Un certain regard, innove pour son entrée en sélection officielle. Figure de proue du cinéma tunisien, la cinéaste propose de revenir sur plusieurs années de la vie de femmes d’une famille brisée avec Les Filles d’Olfa, mêlant fiction et documentaire dans une catharsis des plus révoltées.

La vie d’Olfa, Tunisienne et mère de 4 filles, oscille entre ombre et lumière. Un jour, ses deux filles aînées disparaissent. Pour combler leur absence, la réalisatrice Kaouther Ben Hania convoque des actrices professionnelles et met en place un dispositif de cinéma hors du commun afin de lever le voile sur l’histoire d’Olfa et ses filles. Un voyage intime fait d’espoir, de rébellion, de violence, de transmission et de sororité qui va questionner le fondement même de nos sociétés.

Elles sont quatre sœurs. Mais deux d’entre elles sont des intruses invitées à reformer la famille, bon gré mal gré, pour retrouver une certaine forme de vérité. Alors elles se placent, là, sur le canapé. Si la consigne était claire, le quatrième mur est régulièrement brisé. Mais c’est à ce moment-là, en réalité, que se joue le plus intéressant. C’est dans cette fraction de seconde où les protagonistes, les deux soeurs Eya et Tassir et leur mère Olfa, se saisissent à nouveau de leur récit pour le raconter plus en détail face caméra avec la violence ou l’humour dont est capable la spontanéité. Sous un regard attendri et parfois médusé des comédiennes, bien obligées d’être mêlées à ces instants de vie malgré la promesse de garder la distance qu’implique leur art. 

Cinq personnages en quête d’auteur

Le procédé a de quoi mettre mal à l’aise. Voire même, de rebuter au départ. Connaissant ou non les détails autour des deux disparues, la simple idée de faire revivre un traumatisme à des victimes tient de la curiosité morbide. C’était sans compter la maîtrise de Kaouther Ben Hania et du montage de Qutaiba Barhamji, qui proposent une œuvre encore plus complexe qu’il n’y paraît. Ben Hania offre aux spectateurs un récit mêlant intime et politique, où les bouleversements d’une famille de femmes croisent les bouleversements institutionnels, des années Ben Ali à la montée de l’État islamique. Démonstration s’il en fallait une, que l’espace public s’invite dans les recoins clos des foyers. Olfa le dira elle-même : si la Tunisie peut faire sa révolution, elle fera la sienne et demandera le divorce.

Les cadres sont soignés, les couleurs sont éclatantes. Et tout en laissant ses intervenantes libres de raconter leur histoire, la réalisatrice reste présente, non pas seulement par quelques interventions durant le film, mais par ces jeux de mise en scène riches. Peut-être pour rappeler que si la réalité peut jaillir de la fiction, il s’agit bien ici du récit du point de vue de celles qui restent. Au spectateur de décider finalement, ce qu’il garde comme vérité au milieu des souvenirs.

À première vue ovni de la sélection cannoise, Les Filles d’Olfa s’impose par l’originalité de son concept qui mêle fiction brute et réalité magnifiée par la caméra de Kaouther Ben Hania. Aux propos crus et aux souvenirs douloureux, la réalisatrice répond par une mise en scène géométrique emplie de symboles. Dépassant la curiosité du spectateur, le long-métrage engage un propos politique fort, adressé à la Tunisie en général et à toutes les femmes en particulier.

4

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