En janvier 1969, après l’accouchement difficile du « White Album » et malgré d’importantes tensions au sein du groupe, les Beatles se réunissent sous l’impulsion de Paul McCartney pour un projet inédit : « Get Back ». Un album conçu autour de répétitions filmées qui doit atteindre son point d’orgue avec un concert retransmis à la télévision. En un mois seulement les « Fab Four » composent l’album, entre complicité musicale inouïe et griefs menant à une séparation inévitable. En ressortira un film de Michael Lindsay-Hogg, Let It Be, empreint de tensions omniprésentes et d’une ambiance pesante prônant un groupe au bord de l’implosion.
Alors que nous pensions avoir tout lu, vu ou écouté à propos du groupe, Peter Jackson sort le résultat de quatre longues années de travail avec The Beatles: Get Back. Sorte de remake beaucoup plus juste et optimiste sur ces sessions. Le réalisateur néo-zélandais vendra d’ailleurs sa mini série dans cette optique:
La réalité est très différente du mythe. (…) Il y a certainement des moments de tension, mais rien de la discorde avec laquelle ce projet a longtemps été associé.
Peter Jackson
Let It Be durait 81 minutes là où The Beatles: Get Back s’étend sur trois épisodes dont l’ensemble avoisine les huit heures. Un constat qui pourrait refroidir plus d’un spectateur, surtout dès le début du premier épisode dont son introduction vise à résumer en cinq minutes la carrière du groupe jusqu’aux événements du film. Partagé entre ellipses rapides et montage bien plus lent, cet exposé ne convainc pas vraiment. Et pourtant, dès que nous pénétrons dans les studios de Twickenham, la magie s’empare de l’écran. Installés dans une réelle machine à remonter le temps, nous ne pouvons qu’être absorbés par cette capsule créative hypnotisante.
Peter Jackson prend son temps, c’est un fait, mais son choix radical permet réellement de s’emparer de l’ambiance des répétitions. Sans artifice ni orientation quelconque, nous suivons pas à pas le processus créatif d’un des plus grands groupes de l’histoire. Il est alors fascinant de voir des musiciens tantôt indécis, tantôt efficaces, essayer de composer tout en s’écharpant. La mini-série alterne donc entre de très longues phases de flottement et quelques éclairs de génie, à l’image de la composition du single Get Back. Le temps est suspendu, tout le monde parait perdu, fatigué, quand soudain surgit une bribe de riff à la basse qui finit par entrainer les autres membres.
Let It Be
Le processus initialement installé par Michael Lindsay-Hogg permet d’avoir accès à quasiment tous les échanges du groupe, même les plus tendus. Le sentiment d’infériorité de Georges Harrison, les directives de Paul McCartney, le je-m’en-foutisme de John Lennon, la neutralité parfois fantomatique de Ringo Starr et l’omniprésence de Yoko Ono : tout y est ! Et pourtant, le travail de Peter Jackson démonte de nombreuses théories sur l’ambiance de ces répétitions. Longtemps présentées comme invivables et très conflictuelles, les images proposées offrent un tout autre tableau. Certes, il y a des tensions, mais il y a également de grands moments de complicité fraternelle. Ces huit heures montrent une réelle évolution dans les relations entre les membres du groupe. Les tensions de la veille entrainent les blagues du lendemain, et inversement. En revanche, lorsque le ton se fait plus dramatique, l’émotion est toute aussi présente et finit par nous submerger.
Au début du deuxième épisode, McCartney est aux côtés de Ringo et se confie suite au départ prématuré d’Harrison et au retard de Lennon, également proche du départ. La caméra reste sur son visage pendant qu’il annonce, le coeur lourd et au bord des larmes, que le groupe va se séparer. Cette scène renforce à elle seule tout celles qui suivront, en dramaturgie comme en impact émotionnel. Les Beatles s’entendent bien mais ne peuvent plus, ne veulent plus continuer ensemble. C’est plein d’émotion et en se remémorant le passé qu’ils feront tout pour enregistrer Let It Be puis Abbey Road avant de donner leur dernier concert du toit de leur studio.
Filmer des artistes au travail n’a jamais été aussi passionnant que dans The Beatles: Get Back. Arriver à remettre en cause les théories autour de leur séparation (surtout autour de Yoko Ono), tout en proposant une immersion totale au sein d’un processus créatif est tout simplement magnifique. La mini-série s’adresse à tous les amoureux du groupe ou de musique en général mais pourra, par sa durée, rebuter les non-initiés. Pour les autres, les images sont tellement inédites, intéressantes, et riches en émotion que ces trois épisodes ne suffiront pas.