Netflix à la rescousse du patrimoine ?

Souvent décrié ou surnommé le « McDonald’s de l’audiovisuel » par ses détracteurs, Netflix est victime de sa logique éditoriale. Lorsque la firme californienne cesse la location de DVD par voie postale pour se lancer dans la SVOD en 2007, la rupture est telle que les habitudes spectatorielles vont drastiquement changer.

Des séries à binge-watcher voire à speed-watcher, une individualisation des visionnages sur une multiplicité de supports et l’avènement du terme « contenu ». De quoi s’attirer les foudres de nombreux cinéphiles, choqués que le 7ème art soit ainsi « rabaissé » au rang de vulgaire marchandise. Pourtant, depuis ses débuts, le cinéma est resté une industrie dont le profit et le divertissement sont les principaux moteurs. Cependant, cette nouvelle sémantique coince… Un catalogue jugé trop enfantin, voire adolescent, une consommation intensive au profit d’un réel plaisir savoureux et savouré. La confrontation avec les salles de cinéma entretient même cette éternelle métaphore culinaire : la salle est une table étoilée là où Netflix reste un vulgaire fast-food. Les équipes de Reed Hastings ont donc tenté plusieurs stratégies et opérations séduction à travers le monde afin de conquérir le cœur des cinéphiles les plus exigeants. Outre un festival éphémère et quelques avant-premières audacieuses, Netflix mise depuis peu sur le cinéma de patrimoine. Que ce soit en finançant les derniers films de grands réalisateurs, ou par le biais d’acquisitions de classiques du cinéma, la plateforme multiplie ses attaques et place ses pions.

Orson Welles ressuscité !

Considéré à juste titre comme l’un des meilleurs réalisateurs de l’histoire, Orson Welles compte plusieurs chefs-d’œuvre dans son répertoire, mais également quelques frustrations cinéphiliques. Des films maudits ou des projets avortés qui créent un mélange de fascination et de colère assez impressionnant. Parmi eux, De l’autre côté du vent, une des arlésiennes les plus connues du metteur en scène. Commencé en 1970 et achevé six ans plus tard, ce tournage rude n’est que le début des problèmes. La révolution Iranienne bloque certaines bobines détenues par une boite de production locale et un imbroglio d’ayant-droits empêche une quelconque avancé depuis la mort de Welles en 1985.

Suite à un appel aux dons de trois réalisateurs lancé en 2015, la campagne de financement échoue lamentablement, enterrant tout espoir de voir une quelconque exhumation du film. Netflix débarque alors en sauveur ultime, armé de 5 millions de dollars et d’un projet de documentaire lié à cette odyssée créatrice. De l’autre côté du vent sort donc en novembre 2018, accompagné du documentaire Ils m’aimeront quand je serai mort. Netflix sort grand gagnant de cette histoire grâce à sa posture héroïque et salvatrice, convaincant au passage bon nombre de cinéphiles, satisfaits d’avoir enfin vu cette chimère cinématographique.

Ghibli, MK2 et les autres…

Une bataille a été gagnée mais pas la guerre ! Les offres de plateformes SVOD se multiplient et Netflix doit gagner de nouveaux clients. Outre le prix, les catalogues jouent un rôle primordial dans le choix d’un utilisateur pour telle ou telle plateforme. Critiqué par une part non négligeable de cinéphiles, Netflix décide (encore une fois) de séduire en faisant l’acquisition des catalogues de films Ghibli et MK2. Ainsi, les grands films de Miyazaki, Truffaut, Lynch, Chaplin ou encore Varda deviennent disponibles pour une durée d’un an reconductible. Même si cette manœuvre a pu convaincre certains détracteurs de franchir le pas, d’autres abonnés ancestraux de Netflix se sont plaint de ces acquisitions, tout en demandant les dernières saisons des séries phares de la plateforme.

Un jeu d’équilibriste difficile à maintenir pour la firme de Reed Hastings, qui doit choisir entre pluralité de contenus ou confirmation de bases qui l’ont propulsé aux sommets de la SVOD. Finalement, le temps a tranché et enfouit ces œuvres dans les tréfonds du catalogue. L’idée était louable, mais l’ADN même de la plateforme ne correspond pas à ce type de cinéma. Une logique algorithmique ne conseillera jamais aux anciens utilisateurs d’aller voir un Kieślowski ou le film exhumé d’Orson Welles. Ces œuvres finiront fatalement par se perdre dans un flot de séries et de films jusqu’à ne plus exister sur la plateforme.

Et soudain vint Napoléon !

Ceux qui se plaignent du manque de représentation de l’empereur français au cinéma ont tendance à oublier le mastodonte d’Abel Gance sorti en 1927. Une épopée de 7h30 projetée sur trois écrans, un procédé révolutionnaire pour l’époque ! La restauration de ce monument du cinéma français a été lancé par la Cinémathèque Française il y a plus de dix ans. Seulement, une telle démarche reste couteuse et complexe, surtout pour un film de cette durée. C’est alors qu’en janvier 2021, la nouvelle tombe par le biais d’une dépêche AFP : Netflix devient mécène de la Cinémathèque française.

Dans un souhait de préservation et de transmission du patrimoine, cet apport symbolique mais important marque un tournant dans la stratégie commerciale de Netflix et dans l’apport des plateformes au cinéma français, même si les montants investis ne seront pas communiqués par les principaux protagonistes. Reste à savoir les tenants et les aboutissants de ce financement et les possibles droits d’exploitation. Il serait dommage de voir cette fresque titanesque finir sur une plateforme, privée d’une quelconque exploitation en salle (hormis quelques séances spéciales) ou en support-physique.

Malgré de nombreuses critiques, Netflix a su trouver des réponses via des choix significatifs. Ils ont su se positionner là où de nombreux professionnels avaient abandonné, tels des messies à la rescousse d’œuvres condamnées. Cependant, ne nous leurrons pas : ces approches restent intéressées et témoignent d’avantage d’une posture opportuniste que d’un réel rôle de chevalier blanc. L’ADN même de Netflix reste la nouveauté et le conseil personnalisé par algorithme, plutôt qu’une mise en avant du patrimoine. Cela explique d’ailleurs la disparition de leurs acquisitions MK2 dans les profondeurs abyssales de leur catalogue, noyées dans le flux constant de nouveaux contenus. Les amateurs de cinéma d’auteur et de patrimoine iront plutôt découvrir ces classiques sur des plateformes comme La Cinetek ou Le Vidéo Club Carlotta, avec une réelle éditorialisation et un accompagnement thématique. En revanche, que Netflix se positionne pour exhumer ou restaurer des films laissés à l’abandon est un beau pied de nez aux acteurs habituels qui ont délaissé ces missions.

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