Critique de Civil War

Un film de
Alex Garland
Sortie
17 Avril 2024
Diffusion
Cinéma

Le 12 août 2017 à Charlottesville en Virginie, dans la première année du mandat de Donald Trump comme président des États-Unis, un militant d’extrême droite attaque à la voiture-bélier une contre-manifestation antifasciste et tue Heather Heyer. À Washington D.C., le 6 janvier 2021, 2 mois après la défaite de Donald Trump, une foule de ses soutiens envahit le Capitole (siège des institutions) pour nier la défaite de leur candidat, dans un acte qui sera qualifié de tentative de coup d’État, mais n’empêchera certainement pas sa réélection prochaine. Ces deux événements, comme tant d’autres dans l’histoire récente d’un pays défini par la brutalité de son système économique, des fondations racistes et un bipolarisme institutionnel omniprésent, ont fait forte impression sur le scénariste et réalisateur britannique Alex Garland. Son nouveau film, Civil War, déroule le fil de cette histoire bien réelle jusqu’à son point d’orgue dans un passionnant road movie existentiel et spectaculaire.

Une course effrénée à travers une Amérique fracturée qui, dans un futur proche, est plus que jamais sur le fil du rasoir.

Le film s’ouvre sur le président des États-Unis préparant une allocution. Des mimiques, des éléments de langage dithyrambiques et mensongers… Le pastiche est évident. Puis une première mise en abîme avec la caméra filmant le président : son discours diffusé sur une petite télévision observée par la protagoniste, qui la prend en photo, représentant le point de vue distancié du film. Garland ne s’intéresse pas tant à l’action, au conflit et à ses raisons, qu’à son cadrage et ses représentations. Nous ne suivons pas un groupe de soldats, mais des journalistes traversant le pays, documentant les escarmouches. Au premier plan il n’y a pas les acteurs et actrices de la violence, mais les voyeurs qui les documentent, faisant de chaque tableau un commentaire autant sur la morale des faiseurs d’opinions et des chasseurs d’images chocs que sur la polarisation de la société étatsunienne. Pourtant, la transcendance des personnages est toujours remise en question. Leur travail alimente l’opposition idéologiquement et esthétiquement. Leurs actes ont des conséquences directes sur le déroulement des affrontements et surtout, ils sont autant concernés par les débordements de haine arbitraires. Il n’y a pas de personnage au-dessus de l’intrigue, ni de presse au-dessus du conflit.

© A 24 / DCM

Comme dans Men ou Ex Machina, le propos du film se développe avec autant de nuance que d’efficacité à travers la mise en scène absolument maîtrisée. Les séquences d’action se démarquent par le décalage du point de vue et doivent notamment leur intensité au travail du son. Le cœur du film promène nos personnages entre des tableaux toujours surprenants et emplis de détails, petites allégories du monde de demain et des états d’âmes des protagonistes. La galerie de personnages secondaires est riche, mais c’est clairement le formidable Jesse Plemons qui remporte la palme dans une séquence insoutenable. Le quatuor de tête Kirsten Dunst, Cailee Spaeny, Wagner Moura et Stephen McKinley Henderson ne pâlissent cependant jamais et développent parfaitement leurs relations complexes. Enfin, l’intégration de la photographie dans le film était attendue, mais appuie encore un peu les éléments symboliques et souligne les références habilement placées, parfois avec un peu trop de dirigisme peut-être.

Cependant, le film ne tient pas sa rigueur et sa justesse de ton tout du long. Dans le dernier acte, il se perd un peu dans des poncifs de cinéma grand public, à la fois dramatique et spectaculaire, avec une séquence tire-larmes et un final riche en pyrotechnie. Impressionnante vu les moyens, elle se rapproche cependant plus de Call Of Duty que du Salvador d’Oliver Stone dans sa volonté de choquer en abattant les symboles architecturaux de l’Amérique patriote et dans sa complaisance avec la violence. Le dernier acte met à bas l’ambiance paranoïaque, le sentiment de vulnérabilité et le discours symbolique complexe instaurés jusque-là, par indulgence pour le public de films d’action.

Indéniablement, Alex Garland se construit patiemment une filmographie de films de genre riches en propos et en visuels impactants. Amenant un point de vue original autant dans l’histoire que dans la mise en scène, il représente cette fois une Amérique dystopique délirante et pourtant si proche. Civil War est un rare représentant dans le cinéma contemporain de l’action politique, avec des airs de New-York 1997. À la fois road movie, action, western, drame guerrier, le réalisateur britannique crée une œuvre qui en dit aussi long sur le cinéma américain et ses codes que sur la société. Alors qu’il y a seulement quelques mois, des tensions entre le Texas et l’état fédéral américain mettaient sur quelques bouches le mot de sécession, et à la veille d’une nouvelle élection ; Civil War est ce qu’on attend de meilleur du cinéma américain. Sans nostalgie ni crainte de faire face à l’époque.

4

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