« Un simple accident », les Méditations de Jafar Panahi sur une amnistie impossible

© Jafar Panahi
Un film de
Jafar Panahi
Sortie
10 septembre 2025
Diffusion
Cinéma

FESTIVAL DE CANNES 2025 – Un coup du sort, et tout s’enchaîne trop vite. Avec Un simple accident, le cinéaste iranien multi-récompensé Jafar Panahi revient à Cannes avec un long-métrage dont l’existence même est éminemment politique, six ans après avoir reçu le prix du scénario pour Trois Visages. Philosophique aussi, le film met en scène un garagiste prénommé Vahid qui, à la suite d’un banal accident routier, croit reconnaître son ancien tortionnaire, lorsqu’il était prisonnier du régime iranien. D’une impulsion de vengeance va découler le doute : et si ce n’était pas lui ? Et, entre le besoin de justice et celui de laisser le passé reposer, surgit une question plus redoutable encore : que faire ?

Après un simple accident, les événements s’enchaînent…

Il est impossible de parler de Un simple accident sans évoquer la trajectoire de son réalisateur et son vécu de prisonnier politique en Iran, tant le film semble restituer la réflexion aboutie d’un individu qui a eu le temps de tourner la question dans tous les sens. Empruntant les codes d’un conte moral aux accents de thriller, le film joue constamment sur son dilemme pour maîtriser son temps et celui du spectateur. La tension se lance et se relâche au gré des réflexions de chaque personnage embarqué dans le coup de folie de Vahid. Tous anciennes victimes du présumé Eghbal, ils sont chargés bien malgré eux de soulager le héros de son doute en tentant de recoller les fragments de leur captivité, alors que leur vie est à peine reconstruite. Chacun incarne alors un chemin, un dénouement possible. Sans être des archétypes de service, précisément parce que leur choix est déjà mûrement réfléchi, et que le scénariste-réalisateur ne cherche pas à imposer de réponse.

L’homme qui en savait trop peu

Ayant filmé clandestinement comme à son habitude, Panahi réussit encore l’exploit de donner à son œuvre un souffle esthétique inattendu. Les cadres, loin d’être bruts ou improvisés, sont au contraire composés avec soin, vivants et habités. La caméra, souvent discrète, capte les regards, les gestes retenus, les non-dits. Malgré cette atmosphère naturellement lourde, le film se permet tout de même un humour satirique tout à propos, et souligne l’absurdité d’un système oppressif ou la résilience des citoyens qui le subisse. Ces pointes d’ironie, parfois amères, allègent le récit sans jamais en affaiblir la portée. En refusant la violence explicite, Panahi choisit la suggestion, la nuance : un choix qui rend son œuvre d’autant plus percutante. Le spectateur est invité à reconstituer les failles d’un système qui dépasse les individus et leur propre conscience, et à s’interroger, à son tour, sur la légitimité du pardon.

Un simple accident témoigne d’une mise en œuvre minutieuse de tous les outils du cinéma au service d’un engagement lucide. Sa portée, résolument universelle, tient à sa capacité à rester accessible, notamment par le choix d’une mise à distance de la violence. Ce conte moral, traversé par une humanité profonde, s’appuie sur des personnages nuancés et une narration fluide, à la fois limpide et dense. L’équilibre entre la rigueur du scénario et la finesse de la mise en scène donne naissance à une œuvre de cinéma complète, dans une sélection cannoise où la forme tend à éclipser le fond.

4.5

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