Critique de Bird

Un film de
Andrea Arnold
Sortie
1 janvier 2025
Diffusion
Cinéma

FESTIVAL DE CANNES 2024 – L’ambition artistique du cinéma d’auteur offre aux cinéastes une double liberté : celle de s’affranchir des codes établis et celle de revendiquer fièrement leur singularité. Parmi ces œuvres, certaines marquent par leur éclat immédiat tandis que d’autres déploient une poésie plus subtile et durable. Le nouveau film d’Andrea Arnold appartient résolument à cette seconde catégorie. Huit ans après American Honey et un détour par le documentaire avec Cow, elle retrouve la fiction et son exploration des réalités de la précarité sociale.

À 12 ans, Bailey vit avec son frère Hunter et son père Bug, qui les élève seul dans un squat au nord du Kent. Bug n’a pas beaucoup de temps à leur consacrer et Bailey, qui approche de la puberté, cherche de l’attention et de l’aventure ailleurs.

Un crapaud aux propriétés hallucinogènes stimulé par du Coldplay, Barry Keoghan en père aussi dysfonctionnel que sincèrement bouleversant, un squat anglais esthétisé : Andrea Arnold sait toujours nous embarquer dans ses réalités où la violence revêt une poésie quasi-onirique. Un onirisme qui prend forme dans un mystérieux inconnu incarné par le génial Franz Rogowski, partagé entre la liberté du ciel et le poids d’une quête familiale, faisant écho au parcours de Bailey, jouée par l’impressionnante Nykiya Adams, véritable révélation du film.

Les ailes du désir

Sans jamais verser dans le misérabilisme, Bird esquisse sa critique sociale, où la précarité est omniprésente mais jamais surlignée. Andrea Arnold capte l’essence d’un pays fracturé, où l’espoir subsiste malgré tout, mais peine parfois à dépasser le cadre de son personnage-concept. Une limite atteinte lorsque le film s’abandonne à des envolées abstraites qui, si elles ajoutent à sa singularité, diluent son propre message dans un impact émotionnel parfois trop programmé. Le style résolument britannique d’Arnold épouse son sujet sans condescendance : une caméra vive, des lumières crues, un grain rugueux pour embrasser les aspérités du réel. Mais c’est peut-être dans son travail sonore que le film prend véritablement son envol. La collaboration avec Fontaines D.C. insuffle à Bird une atmosphère écorchée, où les guitares distordues et les voix désabusées résonnent avec la détresse contenue du récit. Loin d’être un simple habillage sonore ou une tentative opportuniste de profiter d’un succès musical galopant, cette bande originale devient un prolongement naturel du film et recentre le récit autour de Bailey et Bird.

Dans la densité de son récit à la croisée des genres, Arnold semble laisser ses personnages face à eux-même, quitte à les essentialiser plus qu’à les faire exister. Mais là où d’autres auraient cherché à sursignifier, Arnold préfère suggérer. Cette liberté narrative peut désarçonner, mais elle confère aussi au film une puissance évocatrice rare. Par sa pudeur et son acuité, Bird s’impose finalement comme un récit d’une grande justesse, où l’aspiration au départ se heurte sans cesse aux contingences du réel.

3.5

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