« Dossier 137 », charge trop tiède sur le brûlant sujet des violences policières

© Fanny De Gouville
Un film de
Dominik Moll
Sortie
19 novembre 2025
Diffusion
Cinéma

FESTIVAL DE CANNES 2025 – Trois ans après avoir mis en lumière les féminicides dans un Festival (légèrement) hypocrite avec La Nuit du 12, Dominik Moll poursuit sa trajectoire citoyenne. Entre prise de conscience et lecture systémique, il tisse avec sobriété une réflexion en retenue autour d’un fait réel survenu en pleine crise des Gilets jaunes. Son style dépouillé révèle cette fois les limites d’un cinéma trop didactique pour embrasser un sujet aussi politique. Reste une Léa Drucker magistrale, seule à incarner pleinement la complexité de ce récit.

Le dossier 137 est en apparence une affaire de plus pour Stéphanie, enquêtrice à l’IGPN, la police des polices. Une manifestation tendue, un jeune homme blessé par un tir de LBD, des circonstances à éclaircir pour établir une responsabilité. Mais un élément inattendu va troubler Stéphanie, pour qui le dossier 137 devient autre chose qu’un simple numéro.

Le cinéma politique est aussi français que ses contradictions : prompt à s’émouvoir de drames collectifs, mais divisé sur les conclusions à en tirer. De ce paradoxe national naît un film tiraillé entre les inquiétudes du corps policier et celles d’un peuple en colère. Construit en miroir, Dossier 137 tente de remonter à la source du mal : entre poids de la hiérarchie et épuisement d’une institution à bout de souffle. Un brin facile, le choix de centrer le récit sur une enquêtrice de l’IGPN incarnée par Léa Drucker permet à Dominik Moll de traiter cette réflexion systémique sous la forme d’une quête intime. Figure de contrôle et de doute, elle devient le prisme d’un malaise plus large et survole le film en portant à elle seule ses ambiguïtés et ses tensions.

Force (de l’ordre) tranquille

Face à un sujet aussi chargé politiquement, deux postures s’offrent en général aux cinéastes : celle de l’engagement frontal, qui transforme le film en manifeste, ou celle d’un recul feint, revendiquant une neutralité souvent illusoire au nom d’un surplomb moral. Dominik Moll, fidèle à sa méthode, choisit de ne pas choisir. Il confie comme toujours les clefs de lecture à un·e spectateur·rice qu’il considère, mais ce refus d’incarner un point de vue trahit aussi une forme d’évitement. Sa mise en scène participe de cette neutralité : rien ne déborde, rien n’accroche vraiment non plus. Le recours à une voix off basée sur les procès-verbaux, les effets de montage volontairement plats, les dialogues sobres jusqu’à l’effacement, dessinent un objet qui évoque davantage un support de formation qu’un geste de cinéma. Reste pourtant une construction rigoureuse, et surtout cette capacité de Moll à faire surgir, dans l’ultime scène, une tension politique cristalline : un face-à-face hiérarchique qui condense toute la prudence du film et l’ambiguïté persistante de son personnage principal. Une conclusion en forme de point d’interrogation, plus efficace que toutes les leçons… mais trop tard pour réveiller un film anesthésié.

Ni brûlot, ni satire, ni portrait psychologique Dossier 137 opte pour la retenue, et peine à faire naître l’indignation, la tristesse ou même le malaise que son sujet pourrait appeler. La comparaison avec La Nuit du 12 est aussi facile qu’inévitable car ce qui faisait la force du précédent film de Moll, des personnages saisis dans un contexte qui les dépassait, fait ici cruellement défaut. Léa Drucker tente d’habiter un récit dont la subtilité semble hors de portée, tant il se retranche derrière une mise à distance trop prudente. Rien sur le sexisme, le racisme ou la fascination pour la violence : seulement une tentative d’explication tiède d’un sujet brûlant.

3

Latest Reviews