Critique de Dune

Un film de
Denis Villeneuve
Sortie
15 septembre 2021
Diffusion
Cinéma

Peu d’œuvres peuvent se vanter d’avoir eu la même influence dans l’histoire de la science-fiction que Dune de Frank Herbert. Sans elle, pas de Star Wars, d‘Alien, de Mass Effect ni de Game Of Thrones. Pourtant, son adaptation au cinéma semblait être un exploit irréalisable. De l’épopée folle mais infructueuse d’Alejandro Jodorowsky à la semi-réussite controversée de David Lynch, aucune version n’a vraiment convaincu.

Mais peut-être suffisait-il de laisser passer le temps, que les technologies d’effets spéciaux soient au niveau et qu’un auteur passionné se retrouve en position de réaliser ce film. Peut-être que ce jour est enfin arrivé avec Denis Villeneuve, qui s’est déjà essayé à la science-fiction avec Premier Contact et Blade Runner 2049 et qui entreprend de donner vie à ce rêve. En mettant en avant un casting gigantesque, une ambiance sombre et des visuels fascinants, le film promet la lune (voire les étoiles).

L’histoire de Paul Atréides, jeune homme aussi doué que brillant, voué à connaître un destin hors du commun qui le dépasse totalement. Car s’il veut préserver l’avenir de sa famille et de son peuple, il devra se rendre sur la planète la plus dangereuse de l’univers – la seule à même de fournir la ressource la plus précieuse au monde, capable de décupler la puissance de l’humanité. Tandis que des forces maléfiques se disputent le contrôle de cette planète, seuls ceux qui parviennent à dominer leur peur pourront survivre…

Une affaire de familles

La solide réputation que s’est construite Villeneuve avec sa filmographie quasi sans-faute prend le pas sur la surprise : Dune est un film magistral et une immense réussite. Accrochez-vous, car tel les légers ornithoptères qui fendent le ciel d’Arrakis, nous nous apprêtons à décoller dans une envolée lyrique de louanges dithyrambiques. Film grandiose à l’élégance rare et au spectacle fascinant, son ampleur est sûrement ce qui marque le plus. Une architecture toujours démesurée, des foules de soldats à perte de vue, des vaisseaux gargantuesques comme faits de pierre massives… L’esthétique de Dune se réduit à la forme la plus épurée : un ballet de silhouettes brutes et de sons primaux.

L’ensemble est rythmé par la musique de Hans Zimmer qui tire sur le minimalisme, entre cœurs et sons d’orgue. Elle fait beaucoup pour l’intensité et le caractère mystique de l’œuvre et accompagne parfaitement la réalisation grandiose et la photographie toujours très soignée de Greig Fraser. Chaque planète possède sa palette de couleurs qui appuie l’ambiance et le symbolisme. On doit également souligner une opposition constante entre la lumière aveuglante du soleil brûlant d’Arrakis et les épaisse zones d’ombres cachant souvent des dangers et des complots. Enfin, pour parfaire ce tableau, il y a les effets spéciaux irréprochables et les séquences d’action (ou de massacre) d’une intensité saisissante. Dune est un film élégant et tonitruant, ressemblant parfois aux fresques épique de Kurosawa, surtout Ran, se rapprochant à d’autre moments des grands opéras.

© Warner Bros.

Dune, bientôt de deux

Ce que Villeneuve et son équipe apportent s’appuie sur une base solide : le texte de Dune. Le film est particulièrement fidèle au roman de Frank Herbert dans l’enchaînement des scènes et dans de nombreux dialogues. Or Dune n’a pas usurpé son prestige : c’est une histoire formidable avec des personnages complexes et surtout un univers fascinant. Assez peu de ces qualités sont perdues dans l’adaptation. Les complots des différentes factions s’entremêlent et s’entrechoquent avec autant de sournoiserie et de violence que dans le roman. La mythologie est tout aussi intrigante et les concepts mystiques ou technologiques n’ont rien perdu de leur génie. L’univers est parfaitement exploité, ainsi que la façon brutale dont le spectateur y est introduit : largué comme un étranger recollant les pièces d’un puzzle complexe. Le film profite aussi de dialogues tendus, où chaque mot compte, chaque information vaut des millions et chaque intonation peut causer la perte… Le tout incarné dans les performances remarquables et minutieuses d’un casting rarement égalé, croisant jeunes stars montantes (Timothée Chalamet, Zendaya) et institutions d’Hollywood (Oscar Isaac, Josh Brolin).

Dans cette première partie, les prémisses du propos profond sur le pouvoir, la politique, la religion et l’amour son parfaitement posés pour être développés dans la seconde. Les génies de Denis Villeneuve et de Frank Herbert se sont parfaitement retrouvés pour donner forme au rêve. Pourtant cette fidélité a aussi un revers : les personnages centraux du livre ont un monologue intérieur très présent, soulignant leur plans et intentions. Il en résulte une œuvre aux personnages complexes, mais aussi tragiquement solitaires dans leurs manipulations. Le personnage de Jessica est sûrement celle qui y perd le plus. Sa relation perverse et périlleuse avec Paul disparaît, lui-même voit ses traits de personnalité exagérés et l’arc qui le mènera inévitablement à devenir Muad’Dib ne se dessine pas aussi clairement. Inévitablement, l’empreinte de Dune dans la culture populaire est tellement omniprésente, profonde et fondatrice qu’il est difficile d’y trouver encore quelque chose qui semble original.

Dune, cette œuvre réputée inadaptable, s’impose maintenant comme une évidence au cinéma. Cela tient en partie à la rencontre entre les esprits parfaitement en phase de Frank Herbert et de Denis Villeneuve. Mais aussi à l’ampleur de l’influence de Dune dans la culture populaire. Ce qui semblait incroyable et complètement infaisable dans les années 70 nous est aujourd’hui bien plus familier. C’est ce qui scelle le destin du film : là où on pourrait voir un projet d’une telle ampleur changer l’histoire, comme Star Wars en son temps, il est sûrement trop tard pour Dune… Aussi magnifique et grandiose que soit cette épopée, elle n’est plus aussi inédite. Mais est-ce vraiment juste d’attendre une révolution d’un film ? D’autant que seule la moitié de l’aventure a été narrée. Peut être qu’une fois le tableau complété, tout sera différent. En attendant, il est toujours possible de profiter d’une splendide adaptation pleine de promesses, et espérer que le dormeur se réveille.

4

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