FESTIVAL DE CANNES 2024 – À la fois comédie musicale, mélo type télénovela et thriller, le dernier film de Jacques Audiard confirme une fois de plus la polyvalence de son réalisateur, dont la filmographie se distingue par un renouvellement constant. Porté par cette assurance créative, Emilia Pérez s’arroge le droit de proposer une hybridation des plus inattendues.
Surqualifiée et surexploitée, Rita met ses talents d’avocate au service d’un grand cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Cependant, une porte de sortie inespérée s’ouvre à elle : aider le chef de cartel Manitas à se retirer des affaires et à réaliser le plan qu’il a secrètement peaufiné depuis des années — devenir enfin la femme qu’il a toujours rêvé d’être.
Alors que les comédies musicales représentent souvent un pari risqué, Emilia Pérez est une proposition qui plonge pleinement dans le genre avec une vraie confiance dans son projet. Entièrement en espagnol, écrit et mis en musique par la chanteuse Camille et le compositeur Clément Ducol, le long-métrage évoque la scène musicale classique new-yorkaise pour intégrer chant et danse dans le récit de manière fluide, les rendant indiscernables des scènes non musicales. Surprenamment, ce mélange d’influences fonctionne à merveille. Tout est prétexte à la musicalité, qu’il s’agisse d’un bloc opératoire ou du rythme des mitraillettes marquant la mesure d’un morceau entraînant. Et pour concrétiser cette ambition, Jacques Audiard a su s’entourer, que ce soit pour l’écriture du récit et des compositions musicales, ou, comme à son habitude, dans le soin apporté à l’image. Aussi, outre sa deuxième collaboration avec le directeur de la photographie Paul Guilhaume (Les Olympiades), il a également fait appel à Damien Jalet, habitué des opéras et auteur des chorégraphies du remake de Suspiria par Luca Guadagnino.
À la recherche du temps perdu
En parallèle de ce dispositif, le récit reste plus conventionnel. Audiard explore à nouveau ses thématiques de prédilection. Il met en scène une héroïne ambivalente dans un monde tout aussi complexe, à la fois victime et actrice de sa propre violence. Libérée par sa transition, elle reste néanmoins emprisonnée dans un passé sinistre. En quête de rédemption pour son passé de narcotrafiquante dans un Mexique gangrené par la corruption, elle lutte contre un système tout en sachant en tirer profit. Un regard inspiré sur une conjugaison de sujets délicats et traités de manière régulièrement inadéquates au cinéma, pour lesquels l’implication du cinéaste et de l’équipe tout en assumant le caractère baroque et théâtral permet une mise à distance bienvenue. Cet équilibre s’illustre particulièrement dans les performances des actrices. Si l’ensemble du casting principal a est mis à l’honneur, c’est surtout le duo principal qui mérite les éloges. Zoe Saldaña démontre l’étendue de ses talents en chant et en danse dans une interprétation saisissante et maîtrisée, tandis que Karla Sofía Gascón alterne parfaitement entre un jeu mélo et tragique. Ces choix, évidents d’après les confidences du réalisateur dans la presse, se ressentent pleinement à l’écran.
Emilia Pérez est une œuvre singulière qui témoigne du désir d’innovation de Jacques Audiard. Le long-métrage ose sortir des sentiers battus, offrant une expérience cinématographique riche et inattendue. Au-delà de la surprise que suscite la proposition, c’est une forme bien établie qui parvient à emporter le spectateur, grâce à des numéros musicaux énergiques et impeccablement chorégraphiés portés par un casting déterminé.