Critique de Judas and the Black Messiah

Un film de
Shaka King
Sortie
24 avril 2021
Diffusion
myCANAL

Dans l’histoire des États-Unis, les crises politiques ont toujours plus ou moins influencé la production cinématographique, que ce soit dans les pratiques ou dans les thèmes. Le meurtre médiatisé, entre-autres, de George Floyd des mains de policiers a éveillé outre-Atlantique un mouvement social antiraciste massif, entraînant quotidiennement des milliers de jeunes dans les rues. Au sein de cette nouvelle énergie militante, revient souvent l’icône historique du Black Panther Party, un mouvement révolutionnaire ayant commencé comme un groupe de défense contre les violences policières, qui a grandit et multiplié ses activités jusqu’à devenir un acteur incontournable de l’émancipation des noirs américains ainsi qu’un phénomène culturel.

Revenant sur un épisode de l’histoire du Black Panther Party de Chicago, Judas and the Black Messiah est disponible depuis ce 24 avril, entre deux événements particulièrement pertinents : la même semaine que la condamnation de Derek Chauvin, l’officier responsable de la mort de George Floyd mais aussi, dans un autre registre, la veille de la 93ème cérémonie des Oscars. Le film y est nommé 6 fois, dont dans la catégorie meilleur film.


L’incroyable histoire vraie de l’homme qui a infiltré le Black Panther Party. À la fin des années 1960 William O’Neal, petit malfrat, accepte de collaborer avec le FBI comme informateur. Au péril de sa vie, il doit infiltrer le Black Panther Party et se rapprocher de son leader charismatique Fred Hampton, ciblé par les autorités.

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Judas and the Black Messiah est une réussite. Les deux jambes qui portent le film si haut sont ses acteurs principaux et les deux personnages qu’ils incarnent. Daniel Kaluuya joue Fred Hampton, un jeune meneur bienveillant, irréprochable et pur, prêt à tous les sacrifices pour sa communauté. Il en impose avec sa large stature, et ne cesse d’impressionner en restant inébranlable à travers les épreuves. Jusqu’à un certain point, il semble même complètement dissocié de tous les actes de violences qui traversent l’histoire du film et du parti. Il est véritablement l’idole messianique. En face, il y a la figure taciturne de Lakeith Stanfield, formidable acteur révélé dans States of Grace. Will O’Neal est l’antithèse de Fred Hampton. De part sa trahison, il cause dans son sillage la violence, la dissension et le malheur. Sa posture, son expression, son implication systématique dans les moments de brutalité et surtout son manque abyssal de convictions : tout l’oppose à Hampton. Du moins, au début… Ces deux personnages montés en miroir, portés par ces incroyables interprètes qui partagent sur un pied d’égalité une nomination à l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle, font vraiment marcher le film. Entre les deux, il faut aussi remarquer la performance de Jesse Plemons en agent du FBI fourbe et perturbateur.

Le parallèle biblique est posé par le titre, et se poursuit encore plus loin. Malgré les origines historiques des faits qu’il représente, Judas and the Black Messiah est une fable politique. C’est l’histoire d’un homme monté contre les siens et contre ses intérêts, du cynisme mis à l’épreuve de la lutte. C’est le portrait d’un phénomène culturel en action contre un monde plein d’injustices. Plus que de racisme, le film parle véritablement d’activisme et de convictions. C’est un solide morceau, plein de thèses mais à coups sûr une œuvre qui motive autant qu’elle donne à réfléchir.

Judas and the Black Messiah est un film éloquent. Le message qu’il fait passer et le portrait de l’activisme qu’il dresse est nuancé et complexe. Mais les mots et les scènes utilisées à cette fin font mouche. Tôt dans le film, Fred Hampton est interpellé par une militante du groupe parfaitement jouée par Dominique Fishback sur l’importance du choix de ses mots. Plusieurs scènes deviennent alors des sortes de messes politiques portées par ses discours saisissants. D’autres, sont des joutes verbales tendues dans des situations de vie ou de mort. Les manigances, mensonges et faux coups de sang du traître portent également une sorte de poésie ironique. La comparaison entre les idéologies de gauche radicale et la religion est certes usée, mais elle est ici rendue pertinente par la métaphore biblique filée dans tout le film, et par la grandiloquence des personnages. Une grandiloquence violente qui marque un contraste avec les douces scènes intimes, les moments de tendresse ou de tristesse. Dans le tumulte de la lutte, le film prend le temps de célébrer l’amour ou d’honorer un camarade tombé et c’est aussi là que se trouvent les émotions les plus fortes.

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Malheureusement aussi bien construit et saisissant qu’il peut l’être, le film semble encore bien loin de réaliser son plein potentiel. En plus de l’aspect politique, le réalisateur Shaka King s’essaie au thriller d’action et, par bien des aspects, réussit. Le suspense est bien géré, les quelques fusillades sont intenses mais formellement le film se trouve tiraillé entre deux esthétiques. Entre le pamphlet évocateur des années 60 et le thriller néo-noir qui n’est pas sans rappeler Les Infiltrés de Martin Scorsese. Finalement, la plastique du film penche plus vers le polar américain classique, quand une forme et surtout un montage, plus libre et militant aurait sans doute élevé sa puissance encore. Tous les éléments sont bons : la musique pose son ambiance avec un thème marquant, la photographie est élégante, le montage rythmé, mais l’ensemble est finalement inférieur à la somme des parties. Mais il s’agit plus d’une opportunité loupée qu’un véritable manque d’ambition.

Film à suspens sous forme de messe militante dans une Amérique poudrière, porté par des acteurs brillants et un rythme irréprochable, Judas and the Black Messiah de Shaka King promet énormément et déçoit peu. C’est avant tout un film sur les convictions, la force qu’elles donnent et la peine qu’elles apportent. Ce qu’il rappelle c’est que la grande histoire des mouvements sociaux est faite par des femmes et des hommes, des rebelles, des purs et des traîtres. Il y a les coups de feu tirés sur la police et les petits-déjeuners gratuits pour les enfants qui ont faim. C’est un portrait d’une époque compliquée qui ne s’est jamais vraiment terminée. Et par tous égards, un très grand film qui n’omet rien.

Judas and the Black Messiah est disponible depuis le 24 avril sur myCANAL.

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