Critique de Kinds of Kindness

© Searchlight Pictures
Un film de
Yorgos Lanthimos
Sortie
26 juin 2024
Diffusion
Cinéma

FESTIVAL DE CANNES 2024Adoubé du grand public depuis le succès de ses deux derniers films, La Favorite et Pauvres Créatures, Yórgos Lánthimos tente difficilement de naviguer dans les méandres de son propre cinéma, aux envies aussi passionnantes que capricieuses. Car si le réalisateur grec a su renouveler son style aux aspirations noires, il en demeure plombé par une certaine prétention, à la limite de l’indigestion. Un constat que Kinds of Kindness embrasse autant qu’il tente de le repousser.

Kinds of Kindness est une fable en triptyque qui suit : un homme sans choix qui tente de prendre le contrôle de sa propre vie ; un policier inquiet parce que sa femme disparue en mer est de retour et qu’elle semble une personne différente ; et une femme déterminée à trouver une personne bien précise dotée d’un pouvoir spécial, destinée à devenir un chef spirituel prodigieux.

Chouchou du Festival de Cannes, où il a remporté un prix majeur à chacune de ses sélections (The Lobster, Mise à mort du cerf sacré et surtout Canine), Yórgos Lánthimos doit en grande partie ce succès à sa collaboration avec son scénariste fétiche, Efthýmis Filíppou. Bien qu’il se soit tourné vers Tony McNamara pour La Favorite et Pauvres Créatures, c’est Filíppou qui a façonné la réputation cynique et sombre de Lánthimos, un style qui séduit particulièrement les jurys cannois et s’inscrit dans un cinéma d’auteur, contrastant avec ses succès récents. C’est donc un retour aux fondamentaux – que ce soit par provocation ou défi envers son nouveau public – qu’il signe avec Kinds of Kindness, segmenté en trois histoires distinctes contenues par un casting commun.

Le prix de tout et la valeur de rien

À la manière d’un joueur d’échecs aussi brillant qu’agaçant, Lánthimos se joue de son image et de celle de son casting de renom (Emma Stone, Jesse Plemons, Willem Dafoe) dans ses trois fables désespérées, au rythme aussi captivant que dérangeant. En n’offrant jamais vraiment ce que le spectateur recherche, il assume sa confiance en lui et son cinéma, mais ne pousse jamais ses scènes cauchemardesques dans leurs derniers retranchements. Toujours tiraillé entre une certaine retenue élégante et l’envie de choquer avec une gratuité jubilatoire, on ne sait pas vraiment quoi penser de son approche des traumatismes humains, dans ce qu’ils ont de plus romantique (au sens littéraire) et, donc, malsain.

Au milieu de cette longue proposition (presque 3 heures), on est pourtant transportés par un premier segment brillant, qui dépeint la relation malsaine entre Jesse Plemons et Willem Dafoe, mais beaucoup moins par sa fable centrale, faussement subversive, sur un couple rongé par une paranoïa peu inspirée. Évidemment, l’ensemble est millimétré, le travail plastique aussi froid que joueur dans son illustration des immersions de violence dans une réalité effacée, mais on n’y voit finalement rien de nouveau dans un film qui ne réinvente pas un Lánthimos plus paresseux qu’inspiré.

C’est finalement sonné d’un ennui poli que l’on ressort de ces trois portraits d’humanité malade. Convaincu par un premier acte aussi dérangeant que magistral, grâce à un Jesse Plemons incroyable, on se surprend en chemin à ressentir le temps qui passe et son étirement dans ses segments inégaux. La valeur ajoutée semble aussi mince qu’une morale superficielle dans une histoire presque trop sage pour le réalisateur. On en vient presque à rêver d’un retour au Lánthimos profondément dérangeant de Canine avec ses portraits désabusés d’hommes perdus. Car si l’on ne peine pas à distinguer la direction vers laquelle il nous conduit, on se demande si, cette fois-ci, le voyage en valait vraiment la peine.

3

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