Critique de Matrix Resurrections

Un film de
Lana Wachowski
Sortie
22 décembre 2021
Diffusion
Cinéma

Dix-huit ans après la conclusion épique de sa saga révolutionnaire, la trilogie Matrix se dote d’un nouvel opus en forme de libération pour Lana Wachowski, cette fois-ci seule à la réalisation. Telle une anomalie dans la matrice, l’existence même de ce Resurrections illustre l’incompréhension qui n’a cessé d’entourer cet univers et ses créatrices, plus actuelles que jamais.

Si Matrix Revolutions proposait une conclusion au parcours et mythe de Néo en tant qu’élu, il interrogeait sans détour son spectateur sur le sens qu’il prêtait à cette « Révolution » : vision idéalisée d’une guerre jouée d’avance ou redistribution des rôles dans un univers qui ne cesse de se reconstruire ? Avec ce Matrix Resurrections, Lana Wachowski se réapproprie sa propre œuvre avec une proposition déconcertante dans le paradigme hollywoodien actuel, tout en apportant des réponses qui ne cherchent jamais à satisfaire.

Pour savoir avec certitude si sa réalité propre est une construction physique ou mentale, et pour véritablement se connaître lui-même, M. Anderson devra de nouveau suivre le lapin blanc. Et si Thomas… Neo… a bien appris quelque chose, c’est qu’une telle décision, quoique illusoire, est la seule manière de s’extraire de la Matrice – ou d’y entrer… Bien entendu, Neo sait déjà ce qui lui reste à faire. Ce qu’il ignore en revanche, c’est que la Matrice est plus puissante, plus sécurisée et plus redoutable que jamais. Comme un air de déjà vu…

Un nouveau testament

Que faire d’un héritage, son héritage, quand celui-ci a transcendé l’œuvre jusqu’en être tordu, loin de ses premières intentions ? C’est une problématique des plus difficiles, en particulier à l’heure où l’industrie cinématographique multiplie suites et reboots. Mais c’est sans nulle comparaison avec Matrix, qui a souffert pendant vingt ans d’une dénaturation de ce que les longs-métrages incarnaient à l’origine. C’est à charge de revanche que Lana Wachowski se ressaisit de l’œuvre créée avec sa sœur pour revenir aux fondamentaux, exclure ce qui a pu être dit à tort et replacer les messages d’origine au cœur de Resurrections. À la fois aveu d’échec et acte d’amour d’une mère envers sa création, ce nouvel opus fait office de testament au triptyque culte.

Alors que Matrix Resurrections s’ouvre sur une course-poursuite nocturne entre des agents mystérieux et une femme vêtue de noir, un sentiment de déjà-vu touche le spectateur. Et pour cause : à la fois reboot et suite sans vraiment être ni l’un ni l’autre, le format du film appelle à la curiosité déjà stimulée par cette introduction des plus célèbres. Faisant écho à l’ensemble canonique de l’œuvre, jusque dans ses déclinaisons vidéoludiques (l’histoire de Matrix Online prend son importance ici), la cinéaste américaine porte à bout de bras la lignée de ce qu’elle a mis en place avec sa sœur. Le tout avec une réalisation maitrisée, plus lumineuse mais tout aussi vive et ingénieuse.

© Warner Bros. Entertainment Inc. / Village Roadshow Films

Le retour du fils prodige

Si les scènes de combat ne sont ni aussi satisfaisantes, ni même aussi lisibles que dans les trois premiers volets de la saga, ces dernières sont compensées par des scènes d’invasion et de lutte massive face à une matrice plus agressive et un Néo affaibli mais déterminé. Il y a un plaisir véritable à retrouver l’ensemble des personnages, Néo et Trinity en tête, dans une course contre la montre romantique. Au final, s’en dégage un sentiment d’apaisement qui résume assez bien l’expérience de ce volet en forme de testament à la saga Matrix. Apaisement de la réalisatrice vis-à-vis de son art et de sa vie, hommage à ses parents et à l’amour transmis dans ses deux héros. Apaisement pour ces derniers, dans un retour apprécié et appréciable des deux têtes d’affiche Keanu Reeves et CarrieAnne Moss dont la complicité à l’écran est toujours aussi authentique.

Néanmoins, un certain ressentiment envers l’industrie du cinéma grand public d’aujourd’hui infuse l’œuvre. Si la Warner en prend pour son grade, ces critiques ne sont pas assez violentes pour s’étonner que le studio ait produit le film. Au contraire, cela fait craindre un certain cynisme dans une réappropriation sous forme de fausse auto-dérision, sans vraiment chercher à changer les choses. Assez proche de ce qui a pu être constaté chez Marvel et le détournement de toute réflexion consciente sur le cinéma. Un goût amer qui ne saurait être reproché à Wachowski, dont Matrix Resurrections pris dans son ensemble fait ressortir la sincérité et la légitime frustration de la démarche critique.

Matrix Resurrections est un ovni dans une industrie cinématographique faites de suites et autres reboots de sagas célèbres. On pouvait craindre le pire, mais Lana Wachowski ne donne que le meilleur. Et ce, à la fois pour venir se saisir de l’héritage de son œuvre culte, mais aussi par amour de ses personnages. On ne boude donc pas son plaisir de retrouver Néo et Trinity dans une course contre la montre romantique, pleine d’espoir. Moins dans l’action, plus près des sentiments et toujours aussi bien réalisée : il n’y a aucun cynisme dans cette suite. Elle rappelle, à l’heure où les communautés de fan deviennent de plus en plus exigeantes, qu’une œuvre appartient avant tout à ses créateurs et créatrices.

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