FESTIVAL DE CANNES 2021 – Cinq ans après le remarquable Diamant Noir, Arthur Harari a ouvert la compétition « Un certain regard » du Festival avec son deuxième film : Onoda. Véritable fresque à taille humaine de près de 2h50 intégralement en langue japonaise, le projet semble aussi fou qu’inattendu.
Fin 1944. Le Japon est en train de perdre la guerre. Sur ordre du mystérieux Major Taniguchi, le jeune Hiroo Onoda est envoyé sur une île des Philippines juste avant le débarquement américain. La poignée de soldats qu’il entraîne dans la jungle découvre bientôt la doctrine inconnue qui va les lier à cet homme : la Guerre Secrète. Pour l’Empire, la guerre est sur le point de finir. Pour Onoda, elle s’achèvera 10 000 nuits plus tard.
Adapter une incroyable histoire vraie est un jeu à haut risque car, avec un tel matériau initial, nombreux sont ceux qui s’égarent en chemin et se noient dans des thématiques et quêtes secondaires qui font perdre de vue la pertinence première du film. Si Onoda rappelle les œuvres guerrières de Werner Herzog, Francis Ford Coppola ou encore James Gray, le long-métrage adopte un point de vue qui se fait rare dans ce cinéma : la solitude sans la folie. Pendant 29 ans, ce groupe de soldats va vivre isolé de tout. Du monde extérieur, évidemment, mais aussi de la perception même de ce monde. Car la guerre est finie, mais tout est resté figé en 1944 pour eux. Et au lieu d’aborder des scènes vues et revues de lente descente dans la folie, à base de flashbacks au gout douteux et autres lumières aveuglantes, le film se place à hauteur d’homme. Il incarne cette humanité dans les convictions et la fraternité des ces soldats qui ne se battent pas, ni pour eux, ni pour personne, dans une guerre qu’ils n’ont finalement pas eu à mener.
La solitude de l’esprit
De ce groupe aux aspirations bien distinctes, Arthur Harari va tirer une dynamique porteuse sur près de trois heures de films. C’est au sein de ce même groupe que va évidemment naître le conflit, mais surtout des croyances et convictions souvent aveugles. Autour de ce chef charismatique et inquiétant vont graviter ces soldats qui, à l’inverse de nombreux films du genre, ne sont ni perdus ni seuls dans la jungle. Car l’île est cartographiée et des fermiers et pécheurs locaux vivent également sur cette terre. Ils se sont créés leurs propres univers, avec leurs propres limites.
Arthur Harari réussi l’exploit de faire ressentir ces trois décennies sur l’île, le temps qui passe, l’usure dans les vêtements… sans ennui. Les seuls lenteurs sont recherchées et appuient cette temporalité dont on perd le fil alors que les années passent et se ressemblent. L’ensemble est porté par des acteurs tout en justesse et en non dit, jouant avec finesse sur les sous-entendus et la fragilité de leurs relations sous la caméra bienveillante d’Arthur Harari. Une réalisation qu’il n’hésite pas à magnifier dans de sublimes séquences, qu’elles soient oniriques ou de guerre pure, amplifiée par une très belle bande-originale.
Onoda est un grand film. De ceux qui marqueront l’histoire du festival et il interroge sur son absence en compétition officielle. Harari signe une oeuvre totale, épuisante, et profondément humaine où le soldat se combat avant tout lui même et son univers proche. Incarné par son personnage quasi narrateur, on pourrait même prêter à Onoda une interrogation sur la vision de l’artiste et de son univers. Sans aller jusque là, il faudra à minima se rendre en salles pour découvrir ce film qui fait plus que jamais exception.