FESTIVAL DE CANNES 2025 – Une rave party en plein désert, des punks unijambistes, une fille disparue… Sirāt d’Óliver Laxe a percuté le Festival avec sa folie créatrice, bruyante et brûlante. Six ans après Viendra le feu, il signe un film halluciné, celui d’un père lancé à la recherche de sa fille dans un désert devenu théâtre d’errance mystique. Le Salaire de la peur sous substances, où tout semble conçu pour étouffer jusqu’à l’épuisement : de la bande-son électrisante à la chaleur d’un désert autant miroir de sable que de l’humanité en disparition, dans une ambiance de fin du monde.
Au cœur des montagnes du sud du Maroc, Luis, accompagné de son fils Estéban, recherche sa fille aînée qui a disparu. Ils rallient un groupe de ravers lancé à la recherche d’une énième fête dans les profondeurs du désert. Ils s’enfoncent dans l’immensité brûlante d’un miroir de sable qui les confronte à leurs propres limites.
Des mains abîmées qui s’afférent à la construction d’un sound-system artisanal sous le soleil écrasant du Maroc suivi de vingt minutes d’une des ouvertures les plus hallucinantes vues récemment. Puis, un à un, les personnages se dessinent au fil des rencontres d’une rave aussi inquiétante que magnétique « Ce n’est pas de la musique qu’on écoute, c’est fait pour danser ». Projeté dans cette liberté folle, on retrouve un père et son fils, doubles évidents du spectateur, cherchant à reprendre pied dans un spectacle qui trouble autant qu’il hypnotise. Du choc initial digéré s’amorce une quête mystique, magistralement orchestrée par Óliver Laxe et la caméra de Mauro Herce, où toute frontière de genre semble s’effacer. Le film se déploie dans ce que l’humain a de plus animal : l’imprévu. Luis et Estéban se retrouvent embarqués dans un convoi qui tend plus vers Herzog que Miller, mais dont la violence n’a rien de symbolique.
Brûle un autre jour
La cruauté latente de Sirāt repose sur un dosage savant entre surprise et tension, alternant scènes de transes musicales et éclats de violence pure. Plus le convoi s’enfonce dans le désert, plus s’accentue la descente aux enfers de ce père, bientôt pieds nus sur un sol craquelé qui vibre au rythme des basses d’un sound-system itinérant. Cette bande-son, d’abord agressive, devient peu à peu la seule attache d’un homme qui vacille. Plus qu’un simple film d’ambiance, une étude de personnages ou un exercice de style, Sirāt réussit un rare numéro d’équilibriste entre cinéma d’auteur et grand spectacle à la générosité dévorante. Le travail expérimental du musicien français Kangding Ray finit par rendre sa musique étrangement familière, jusqu’à devenir l’écrin naturel d’un Sergi López bouleversant, au sommet de son art.
On ressort hagard et lessivé de ce voyage d’une cruauté magistrale. En captant l’imprévu comme ultime rempart d’une humanité réduite à l’errance, Óliver Laxe réinvente le road trip désertique en une expérience sensorielle, dénuée de tout artifice prétentieux. Le film est brut, aride ; sa bande-son électrisante ; son casting magistral. Et de cette somme de gestes naît un Sirāt inoubliable, qui rappelle combien le cinéma d’auteur peut être libre quand il ne se retranche pas dans l’entre-soi. Sa violence, aussi absurde qu’arbitraire, n’est jamais gratuite : elle devient le vecteur d’un geste artistique total, qui éprouve autant qu’il transporte.
