En avant, sorti au mois de mars, a marqué le retour prometteur de Pixar aux œuvres originales. Mais c’est Soul, le film de Pete Docter (Vice-versa, Là-Haut) et Kemp Powers(scénariste de One night in Miami) qui concentre toute l’attention en cette fin d’année. Dans un contexte particulier, puisqu’en cette période si déroutante pour le cinéma et alors qu’il avait été sélectionné au festival de Cannes, il est finalement sorti directement sur Disney+. S’inscrivant alors dans une démarche tout à fait inédite pour le studio d’animation. Un saut de la foi, à l’image de ce que veut enseigner le film.
Passionné de jazz et professeur de musique dans un collège, Joe Gardner a enfin l’opportunité de réaliser son rêve : jouer dans le meilleur club de jazz de New York. Mais un malencontreux faux pas le précipite dans le « Grand Avant » – un endroit fantastique où les nouvelles âmes acquièrent leur personnalité, leur caractère et leur spécificité avant d’être envoyées sur Terre. Bien décidé à retrouver sa vie, Joe fait équipe avec 22, une âme espiègle et pleine d’esprit, qui n’a jamais saisi l’intérêt de vivre une vie humaine. En essayant désespérément de montrer à 22 à quel point l’existence est formidable, Joe pourrait bien découvrir les réponses aux questions les plus importantes sur le sens de la vie.
Garder le tempo
New-York aura rarement connu une animation si organique que dans ce Soul, et le studio californien démontre encore une fois ses capacités techniques en donnant vie à la ville et à ses habitants. Il est bien loin le temps où il fallait accoler la tête d’Andy sur tous ses amis dans Toy Story par contrainte technique, quand on voit ces rues grouillantes et ces plans proches de prise de vue réelles. Toutefois, si la qualité technique est remarquable, c’est la profondeur artistique du Grand Avant qu’il faut souligner. Bien plus approfondi que dans Vice-Versa, la personnification des concepts abstraits est traitée avec grande intelligence et soutenue par une direction artistique à la fois créative et efficace. Un nouveau plaisir visuel savoureux, sans excès explicatif. Doter le film d’animation d’un univers solide c’est bien, en apporter l’essentiel pour suivre l’histoire principale, c’est mieux. Et Soul ne tombe jamais dans le piège, à l’inverse de Vice-Versa. Autre leçon tirée des films précédents du studio : éviter certaines facilités, en particulier concernant les antagonistes qui ici s’effacent pour laisser les personnages principaux mener eux-mêmes leur aventure, loin de détours scénaristiques inutiles – l’habituelle trahison aux deux-tiers du film en tête. On ne pourra par ailleurs que saluer le casting qui nourrit avec intensité le long-métrage, dont Jamie Foxx – qui confirme ses qualités de doubleur après un personnage secondaire dans Rio – et Tina Fey (Megamind) en tête. Tout en ayant une pensée particulière pour la formidable Rachel House qui surprend agréablement en Terry des plus pénibles.
Sur quel pied danser
Si comme à l’habitude que l’on peut prêter à Pixar, on peut envisager au premier abord un message universel, Soul ne réussira probablement pas à toucher tous les spectateurs. Ce n’est pas une mauvaise chose et c’est même ce qui interpelle le plus. L’enveloppe initiale pourrait sembler s’apparenter aux œuvres précédentes de Pete Docter en traitant du temps qui passe, ses regrets mais aussi ses souvenirs, afin de célébrer la vie pour ce qu’elle est : vécue, de petites et de grandes choses.
Cependant, l’âme de Soul se trouve ailleurs. Dans la peur de vivre, le courage d’accepter l’incertitude. Le sort des personnages ne sera jamais fixé par le film, aucune garantie sur la portée bénéfique ou non de leurs choix. Mais l’essentiel réside en ce qu’ils ont été faits. Que Joe et 22 ont osé, et qu’ils en acceptent les conséquences. Le fait d’avoir choisi un artiste, un musicien de jazz en particulier, comme personnage principal n’est pas anodin. Les hésitations entre les aspirations et la peur d’échouer, la grande part d’incertitude et d’improvisation est au cœur de la vie des êtres créatifs. D’autant plus dans une société tournée vers la rapidité, la productivité. C’est à eux que ce long-métrage s’adresse en premier lieu. Choisir de se consacrer corps et âme à sa passion ou préférer se conformer à des attentes plus terre-à-terre ne sont pas deux finalités qu’il faut défendre ou rejeter l’une face à l’autre. Rien n’est garanti. Tout est à faire.
Réussite visuelle portée par des comédiens talentueux et une bande-son des plus originales et envoutante, le véritable cœur de Soul se trouve dans ce qu’il a à offrir à ceux qui pourront le mieux l’apprécier : les artistes. À la fois égoïste et profondément généreux, c’est un choix autrement plus audacieux que le nouveau Pixar s’adresse également à un public plus âgé. L’appelant à vivre sans lui apporter de morale définitive, il réussit à changer de ton tout en restant fidèle à l’âme des œuvres du studio d’animation.