La magie va-t-elle fonctionner une toute dernière fois ? C’est le cœur lourd, mélange non dissimulé d’impatience et de crainte, que l’on s’apprête à dire au revoir (cette fois-ci pour de bon ?) à la plus longue des histoires de famille du cinéma avec Star Wars : l’Ascension de Skywalker.
On aimerait garder cet éclat enfantin qui, dès les premières notes de John Williams, fait battre notre cœur à toute vitesse. Plongé dans la conclusion de plus de 40 ans de mythes, tiraillé entre attentes et propositions. Mais il nous est difficile d’imaginer comment J.J. Abrams peut satisfaire un public si vaste, des enfants émerveillés aux adultes les plus virulents, et c’est peut-être ce qui l’amène à sa perte….
La conclusion de la saga Skywalker. De nouvelles légendes vont naître dans cette bataille épique pour la liberté.
Je regarde mes amis, une dernière fois
Nous sommes le 30 octobre 2012, The Walt Disney Company annonce le rachat de Lucasfilm pour 4,05 milliards de dollars. Sept ans plus tard, la saga prend fin. Comprenez la saga Skywalker, car Disney n’en a pas fini avec Star Wars. Après deux spin-off aux résultats contrastés, le futur s’est assombri pour la firme aux grandes oreilles. Et le projet d’une nouvelle trilogie originale portée par Rian Johnson semble compromis. Le succès de cet épisode IX est donc primordial.
Mais n’y a-t-il pas un problème de taille à l’origine même de cette postlogie ? En faisant le choix de continuer l’histoire déjà bien remplie de la famille Skywalker, Disney a voulu rassurer. Utiliser des personnages iconiques pour propulser une nouvelle génération, un passage de flambeau. Un choix de facilité qui s’est avéré plus complexe et dense qu’on pouvait s’y attendre avec un épisode VIII aux allures de nouveau monde, laissant présager le meilleur pour la saga. Mais en essayant d’appliquer la même recette magique qu’ils utilisent pour Marvel, Disney s’est saboté. On est en droit de se demander s’il ne s’agit pas là d’une grosse erreur stratégique plutôt que narrative.
Les thématiques de cette nouvelle saga, initiée dans Le Réveil de la Force, étaient pourtant louables. C’est à travers les erreurs de nos ancêtres que nous existons mais c’est à nous de nous en libérer et d’écrire notre propre histoire. Une philosophie au double sens à peine caché, qui traverse l’entièreté de Les Derniers Jedi jusqu’à son final splendide. Mais le public était-il vraiment prêt à lâcher prise ? Après deux films qui réintroduisaient, petit à petit, les personnages de leur enfance ? Comment réussir ce tour de force ? Conclure simultanément 42 ans de films et leur mythologie ainsi qu’une nouvelle trilogie, ses personnages et ses thématiques ?
C’est avec ce poids sur les épaules que J.J. Abrams se lance dans L’Ascension de Skywalker. Sans perdre de temps, il débute par une étrange séquence d’exposition qui se prolonge sur la première heure du film. Entraîné dans la quête d’un nouvel objet jamais présenté auparavant, le film recrée son propre univers. Enchaînant séquence sur séquence, sans jamais prendre le temps de développer ses personnages, il ose même en introduire de nouveaux.
L’ensemble se rapproche de la trilogie originale, à l’aspect plus sériel et rythmé. Passant d’une situation à l’autre sans laisser le moindre répit au spectateur. Et si les séquences s’enchaînent dans une fluidité relative, l’héritage des deux films précédents semble se réduire au fur à mesure. Jusqu’à questionner leur utilité dans une séquence d’une méchanceté rare envers le film de Rian Johnson, Les Derniers Jedi. La couleur est clairement annoncée et J.J. Abrams semble tout mettre en oeuvre pour rassurer le plus grand nombre. Quitte à détruire ce qu’il avait lui même amorcé dans l’épisode VII.
Une fois cette nouvelle introduction passée, le film respire enfin. Il se stabilise et laisse la place au véritable moteur de cette postlogie : la relation entre Rey et Kylo Ren. J.J. Abrams met toutes ses forces dans la bataille, essayant de rendre chacune de leurs apparitions iconique.
C’est finalement dans la deuxième partie du film et dans son final, au gigantisme démesuré, qu’on retrouve la vraie liberté des débuts. C’est dans ces moments héroïques qu’il arrive à déployer toute sa puissance de conteur, toute sa dramaturgie. Mais il est déjà trop tard : les duels au sabre laser sont confus, les batailles spatiales sans enjeux et la bravoure pourtant si bien retranscrite dans Le Réveil de la Force semble, elle aussi, amère.
La Force sera avec toi. Toujours.
En cherchant à tout prix à rassurer, à faire le bon choix, J.J Abrams camoufle comme il peut sa dépendance au volet précédent. Lui qui exprime pourtant son « immense gratitude » en interview et affirme que « [L’ascension de Skywalker] n’aurait pas été ce qu’il est sans les choix que Rian Johnson a fait » se retrouve dans une position des plus inconfortables. Comment prolonger un arc intrinsèquement lié aux films précédents tout en s’efforçant d’effacer leur importance et leurs conséquences ?
L’Ascension de Skywalker n’est pourtant pas radin en séquences émotions, mais son rythme effréné ne permet même pas au spectateur de prendre conscience de ce qui arrive, ce n’est qu’au dernier souffle, quand tout espoir semble anéanti, que le film prend un dernier envol avec un habile tour de passe passe qui montre, une fois pour toute, que Kylo Ren incarne le meilleur de cette trilogie.
En dépit de son attrait pour le fan service bas de plafond, J.J. Abrams place son film dans la lignée directe des précédents : les thématiques abordées n’en sont qu’amplifiées. Et malgré un choix purement cynique sur la descendance de Rey, L’Ascension de Skywalker persiste et signe : peu importe nos origines, notre passé, l’avenir se construit par nos choix, comme toujours dans l’univers Star Wars : tiraillé entre le bien et le mal.
Cela serait mentir que d’affirmer que ce baroud d’honneur final ne procure pas des frissons, dans sa portée épique qui se télescope avec l’intimité de Rey. Mais même ici le film ne laisse pas le temps aux protagonistes de s’installer. Finn et Poe sont tout simplement transparents dans ce dernier tiers, enchaînant les actes sans conséquences. Et quand l’apothéose finale se dessine, on s’interroge : c’est fini, déjà ?
En reste une magnifique image de fin, portée par la bande-originale de John Williams, pourtant très absent de ce dernier volet. Et cet étrange sentiment que malgré sa cohérence, elle ne semble pas à sa place, dans un film qui reste, à l’inverse de ses personnages, beaucoup trop superficiel.
L’histoire vit pour toujours
Que restera-t-il de la saga Skywalker ? Un pan entier de cinéma, pour sûr. Des histoires qui vivront pour milles générations. Des petits et grands, émerveillés, portés par la puissance d’une histoire intemporelle.
Ce qui nous vient à nous demander : Disney nous a-t-il rendu cyniques ? Fans et critiques se sont déchirés sur une trilogie en qui chacun voit pourtant ce qui l’arrange. L’Ascension de Skywalker ne cristallise-t-elle pas finalement l’exact opposé de Les Derniers Jedi chez ceux qui y voyait l’un des chefs d’oeuvre de la saga ? J.J. Abrams n’a fait, d’une certaine manière, que répéter l’histoire : il n’est pas allé dans notre direction, notre conclusion rêvée. Comme le dit Rian Johnson : « chercher à contenter les fans plutôt que les surprendre est une erreur ».
Mais la nuance entre les deux démarches n’est pas à prendre à la légère : Les Derniers Jedi s’inscrivait dans la continuité logique et totale de Le Réveil de la Force. Là où ce neuvième volet, en ne suivant aucune autre logique que celle commerciale, se met volontairement une partie du public à dos pour récupérer la sympathie de l’autre, qu’il considère comme « la masse ». Personne n’est dupe : s’il est sain de se questionner sur notre âme d’enfant, prétendument disparue, cela ne doit pas être au prix d’une baisse de nos exigences.
Cette même âme d’enfant qui semble arranger une politique plus commerciale que narrative, et dont on aimerait y enfermer nos réticences. Star Wars est, et restera, la plus grande saga familiale de l’histoire du cinéma. Il ne tient qu’à nous d’y prendre soin le plus sincèrement possible.
En surface, le plus gros problème de l’Ascension de Skywalker s’illustre par son rapport de force bête et méchant avec Les Derniers Jedi. Mais le grand public s’en soucie-t-il vraiment ? Rien n’est moins sûr. Les promesses sont ailleurs : conclure 42 ans de films, l’histoire des Skywalker, dans un final épique, pas plus, pas moins. Et si l’on parle beaucoup (trop) du contexte c’est malheureusement pour cacher une plus triste réalité : un manque cruel d’imagination. Le film déborde pourtant de générosité, cherchant constamment à construire scène iconique sur scène iconique. Mais le résultat n’est pas là : la créativité est absente. Les scènes d’actions sont interchangeables et les dialogues sans substances alignent les banalités.
Et si la plus grosse déception était en fait là ? Un film ni mauvais, ni bon : simplement passable. Comment imaginer d’un Star Wars qu’il lance une forme de routine ? Comment accepter, après un épisode VII aux ambitions évidentes et un épisode VIII clivant mais aux qualités visuelles et narratives certaines, que la conclusion ultime soit tout simplement « sympathique » ? Et même si, au final, le film tient ses promesses et apporte les réponses et conclusions aux questions que l’on ne se posaient pas. On quitte la salle le cœur tout aussi lourd, avec une certaine amertume envers un film qui n’a pas su embrasser son héritage et nous offrir une conclusion à la hauteur du voyage.