Critique de The Father

Un film de
Florian Zeller
Sortie
26 mai 2021
Diffusion
Cinéma

Le cinéma, avec son star system, dépend beaucoup des grands noms sur ses affiches. Dans son monde, réalisateurs ou réalisatrices, producteurs ou productrices mais surtout acteurs ou actrices en viennent parfois à s’élever au rang d’icônes historiques. Indéniablement, Anthony Hopkins est de ceux là. Avec plus de 50 ans de carrière, allant du film d’auteur au blockbuster massif, l’interprète d’Hannibal Lecter n’a plus besoin d’être présenté, ni promu. Pourtant c’est bien c’est ce monstre sacré qui remporte l’Oscar du meilleur acteur en 2021, pour la seconde fois seulement et dans une relative surprise face au favori : le regretté Chadwick Boseman.

The Father est le premier film du dramaturge français Florian Zeller. Il y adapte d’ailleurs une pièce dont il est lui-même l’auteur. Ses multiples nominations, ses deux récompenses aux Oscars, ainsi que son affiche partagée entre Anthony Hopkins et Olivia Colman (Broadchurch, La Favorite) attirent sur lui une attention lourde de pression en cette période particulièrement chargée en sorties.


The Father raconte la trajectoire intérieure d’un homme de 81 ans, Anthony, dont la réalité se brise peu à peu sous nos yeux. Mais c’est aussi l’histoire d’Anne, sa fille, qui tente de l’accompagner dans un labyrinthe de questions sans réponses.

Perdre la tête

The Father est un film superbement fait, à la noirceur déconcertante. Il traite avec une justesse pénible des difficultés de la fin de vie et de la démence, tant pour les personnes âgées que pour les aidants. Le film se base sur une dualité de point de vue. Des événements simples, quelques moments de la journée et quelques conversations sont vues en boucle du point de vue du père, Anthony, et de la fille Anne. Dans la vision d’Anthony, tout est confus et incohérent. Les personnages se contredisent, les visages changent, des membres de la famille deviennent des inconnus, les heures se confondent et les conversations bouclent. Il se voit comme un homme en forme en train de vivre un cauchemar qui prend vie grâce à des effets de montage et des changements d’acteurs. En parallèle il y a le point de vue d’Anne, qu’on présume plus fidèle à la réalité : on y voit un Anthony confus, fragile. La mise en scène place parfaitement le spectateur dans ses pantoufles et fait ressentir l’horreur et la frustration de ce qu’il vit.

Plus que sur le suspens, l’attention est sur le drame. Le film transmet parfaitement le sentiment désagréable de perte de contrôle des deux personnages. Anthony n’a plus aucune maîtrise sur ce qui lui arrive, sa vie est réglée par les autres alors qu’il ne sait même plus où il est. Dans cette nébuleuse, il devient paranoïaque et colérique. Anne, elle, n’a aucun contrôle sur son père aux sautes d’humeur violentes et aux propos incohérents. Malgré tout le mal qu’elle se donne, elle a toujours le mauvais rôle et ne peut jamais vraiment se faire comprendre. C’est cette frustration et ce sentiment d’impuissance, central à ces situations, qui constitue le noyau émotionnel du film. Cependant, passé les premiers instants de confusion et une fois le concept bien compris, le film peine à se renouveler et tourne littéralement en rond autour d’un noyau de scènes qui se répètent.

Laisser le passé hanter

Malgré ce ventre mou, le film n’est jamais vraiment ennuyeux grâce aux incroyables performances mises au service de beaux dialogues. Anthony Hopkins est remarquable mais surtout surprenant, dans un registre différent de ses rôles plus connus. Ici, il dévoile un double jeu entre une prestance feinte et une immense fragilité. On ne peut qu’applaudir cette faiblesse assumée, comme un regard critique sur sa propre vieillesse. Aussi magistrale que soit son interprétation, il laisse à Olivia Colman toute la place pour briller avec son personnage à fleur de peau. Les secondaires complètent parfaitement le tableau mais la performance de Mark Gatiss (Sherlock), bien qu’excellente dans son registre, dénote avec le ton du film et frôle parfois la faute de goût.

Merveilleusement écrit et interprété, The Father tire le meilleur de ses racines théâtrales. Mais pour sa réalisation il reste sobre, parfois à outrance. S’appuyant largement sur des champs contrechamps dans de longues scènes de dialogue, c’est surtout l’éclairage dramatique qui relève la plastique du film. En l’absence de choix particulièrement forts, The Father embrasse en fait clairement le théâtre filmé. On peut regretter que l’adaptation n’ait pas cherché à dépasser cela, mais c’est aussi un exercice de style respectable. Un exercice nuancé par l’excellent travail de Yorgos Lamprinos et son montage tout en finesse et originalité qui modernise l’ensemble.

The Father offre une expérience forte, déstabilisante mais surtout terriblement vraie. Florian Zeller réussit à représenter toutes les perspectives de la fin de vie avec force et justesse. Il donne au grand Anthony Hopkins une opportunité de briller dans sa vieillesse, jouissant de sa stature pour surprendre avec ses failles. Malgré ses limites formelles, c’est un très beau film, parfois pénible mais clairement précieux tant que nous sommes prêts à faire face à cette absolue tristesse, à cet amour qui s’éteint, à cette vie qui n’en finit pas de finir…

3.5

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