Les Amours estivaux au cinéma

L’été… De toutes les saisons, c’est sans doute la plus intéressante cinématographiquement. En termes de couleurs tout d’abord : très chaudes, intenses, profondes ; mais également scénaristiquement. Bien souvent, il s’agit d’une transition pour de jeunes scolarisés qui profitent d’une parenthèse ensoleillée. C’est également la saison propice des amours où les corps se dévoilent, laissant naître l’attirance, le désir. Mais la chaleur aride et plombante peut également être synonyme de drames.

Bon nombre de cinéastes se sont ainsi essayé à l’exercice estival avec plus ou moins de succès. Sont ici regroupés trois films, d’époques et de pays différents, mais qui ont tous en commun l’amour estival.

Cent jours après l’enfance (1975)

De tous les cinéastes soviétiques, Sergueï Soloviov reste l’un des plus obscurs, et des plus oubliés. Si nombre de ses films sont introuvables, sa carrière n’en reste pas moins riche et intéressante. Il a remporté un grand prix du jury à la Mostra de Venise 1986 pour Le Pigeon sauvage ainsi qu’un Ours d’argent à la Berlinale 1975 pour Cent jours après l’enfance. Celui-ci prend place dans un camp d’été pour adolescents où nous suivons les premiers émois de Lomoukh et de ses camarades. Découverte de l’art, de l’amour, du regret…

Filmer les enfants ou pré-adolescents et leurs premiers amours n’est jamais évident. Il faut parvenir à retranscrire un désir, une attirance sans tomber dans une vision nauséabonde. Et pourtant, Sergueï Soloviov parvient à érotiser ses personnages tout en restant dans une certaine pudeur. Il remplace la nudité d’adultes par des regards, des expressions, une lumière et une mise en scène remarquable. L’art sert également de catalyseurs des passions où un poème pourrait tout dire, une pièce de théâtre aiderait une timidité maladive, une chanson permettrait un rapprochement. Soloviov confirme alors que les cinéastes soviétiques sont un de ceux qui parviennent le mieux à filmer la jeunesse.

Il s’agit surtout d’un grand film sur le premier amour et la maladresse dont on peut faire preuve pour séduire l’élu de son coeur. D’une tendresse infinie, les rapports entre les personnages éveillent forcément des souvenirs mais également une certaine mélancolie, celui d’un été qui passe à vau-l’eau. Ici, l’été est dépeint comme une bulle d’insouciance où les sens sont en émois dans un espace-temps qu’on voudrait bloquer pour l’immortaliser à jamais. On se questionne sur ses sentiments et sur notre capacité à agir pour les concrétiser, pour ne pas avoir à le regretter à la fin d’une parenthèse enchantée. Tous ces éléments font de Cent jours après l’enfance un chef-d’oeuvre sur les amours de jeunesse, la timidité et la fugacité d’un été qu’on voudrait éternel….

Le Lauréat (1967)

Bien plus connu que le film précédent, Le Lauréat est un long-métrage de Mike Nichols dont l’affiche culte, la bande-originale mémorable et l’explosion de Dustin Hoffman ont participé au succès. Film notable du Nouvel Hollywood, cette adaptation du roman de Charles Webb raconte les péripéties de Benjamin, jeune diplômé qui reste perdu par la nouvelle vie qui l’attend.

Arriver avec autant de facilité à dépeindre l’angoisse estivale post-diplôme relève tout simplement du génie ! Nichols perd son personnage dans les méandres de ses pensées. Hésitation, rébellion, errance, tout y passe. Benjamin est perdu et semble tout subir. Que ce soit le tapis roulant du début, les décisions de ses parents, sa relation avec Mrs. Robinson, tout lui est dicté, laissant peu de place à son libre arbitre. En outre, les scènes de procrastination dans sa piscine ou de réflexion derrière la vitre de son aquarium restent les plus signifiantes et les plus touchantes du métrage. Le personnage est perdu dans ses pensées, se préparant à une nouvelle vie d’adulte trop imposante pour lui.

De plus, Simon and Garfunkel signe une partition parfaite d’envoutement. Sans parler du thème éponyme à propos de Mrs. Robinson, The Sound of Silence revient lui comme une ritournelle hypnotisante sur les doutes de Benjamin. Tantôt jouée, tantôt chantée, elle revient ponctuer le film de manière remarquable. Sans trop en dévoiler pour ceux qui ne l’auraient pas encore vu, Le Lauréat est une ode à la libération sexuelle, à la jeunesse et à la rébellion contre l’ordre établi. Il établit avec brio le portrait de l’Amérique de l’époque, tiraillée entre un puritanisme envahissant et une soif de liberté juvénile.

© STUDIOCANAL

Conte d’été (1996)

Membre éminent de la Nouvelle Vague française, Éric Rohmer a une carrière aussi longue qu’importante. Il a parcouru près de soixante ans de cinéma et livré plusieurs films cultes, que ce soit avec Ma nuit chez Maud, Pauline à la plage, Les Nuits de la pleine lune ou encore Le Genou de Claire. Mais c’est au début des années 90 qu’il décide de créer un corpus de films (après ses Contes moraux et Comédies et proverbes) sous le nom de Contes des quatre saisons. Conte d’été met en évidence les hésitations amoureuses de Gaspard, étudiant en mathématique, tiraillé entre trois femmes.

Rohmer est un cinéaste du verbe et cela se confirme encore une fois, puisqu’il inonde le spectateur de dialogues. Le Lauréat laissait la place au doute introverti tandis que Conte d’été l’exprime, longuement. Assez déroutant au début, on finit par se laisser porter par ce flot enivrant de parole. Il est d’ailleurs savoureux de voir à quel point le langage est ici une arme de séduction redoutable. Sous-entendus, petites pauses et choix habile des mots deviennent des atouts fascinant d’efficacité. Gaspard ne sait pas ce qu’il veut, est parfois pathétique et pourtant, il en devient attachant. Malmené entre une copine profiteuse, une séductrice facile et une confidente douce et attentionnée, ce quatuor amoureux perd également le spectateur dans un choix pas si évident qu’il n’y parait.

© Les Films du Losange

Cet été peut-être l’été décisif pour Gaspard, qui doit choisir entre coeur, pulsion et raison. Et c’est d’ailleurs cela qui rend les échanges entre les personnages si fascinants. Tous sont au courant de la situation et pourtant personne ne paraît clair dans ses choix et intentions. Conte d’été est sans doute le meilleur de ce corpus signé Rohmer. Non pas que les autres ont moins de qualité, mais c’est dans celui-ci qu’il parvient à emmener le spectateur avec ses personnages, au bord de l’eau, au coin d’une discussion passionnée.

Sans faire d’analyses profondes des films cités, il s’agit plutôt d’une invitation à découvrir des oeuvres multiples sur une thématique commune. Bien que les époques, les réalisateurs et les pays soient différents, ces trois films soulèvent finalement une chose que l’été à de si singulier : le doute. Qu’il soit sentimental, professionnel, personnel, l’été fait douter sur le retour à la réalité après une escapade endiablée, en camp de vacances ou au bord de mer.

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