Critique de Anatomie d’une chute

Un film de
Justine Triet
Sortie
23 août 2023
Diffusion
Cinéma

FESTIVAL DE CANNES 2023 – Au terme d’un festival en demi-teinte et jamais là où on l’attend, Justine Triet repart avec la récompense ultime pour son quatrième long-métrage. Marquée par une sélection inégale, cette 76ème édition a souvent opté pour des choix faussement provocateurs à la paresse intellectuelle déconcertante. C’est alors, comme une évidence, que des propositions aussi denses que The Zone of Interest ou Anatomie d’une chute se retrouvent projetées sur le devant de la scène. De film de procès à la psychanalyse d’un couple en perdition, la « chute » de Justine Triet impressionne autant que sa magistrale froideur peut laisser de marbre.

Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple.

Le film de procès a toujours passionné : savant mélange de thriller et d’étude de personnages, il tient sa popularité de son croisement entre cinéma d’auteur et grand public. Un croisement rarement conscientisé, que Justine Triet et son scénariste Arthur Harari (à qui l’on doit le sublime Onoda, 10 000 nuits dans la jungle) semblent manipuler comme bon leur semble. Loin d’un quelconque cynisme qui s’amuserait à jouer des codes d’un genre sans recherche de la moindre profondeur ; Anatomie d’une chute fonctionne comme le procès qu’il nous présente : imprévisible et pourtant évident, détaché et pourtant si universel.

L’important c’est l’atterrissage

Quatre ans après Sibyl, Justine Triet convoque une nouvelle fois la figure de la romancière en crise pour aborder ses thèmes de prédilection. Des thèmes qui peuvent se confondre avec une recherche de liberté, au sens le plus large et noble du terme. De la mort suspecte du mari au procès de la femme « trop libre » pour son bien et celui de ses proches, elle dresse le portrait d’une autrice qui sacrifie son mode de vie en échange d’une réappropriation de son temps. Triet inverse alors le schéma classique du couple hétérosexuel pour questionner la quête d’une égalité parfaite dans le couple, qui semble impossible – de son propre aveu.

Le film prend alors une tournure déroutante dans sa narration brute, sans musique ni flashback autre que la scène de dispute. La parole devient centrale, d’abord celle de Sandra, brillamment interprétée par Sandra Hüller qui nourrit l’incompréhension générale en maniant l’anglais et le français dans des anti-joutes chorégraphiées. Puis dans celle du fils, tour à tour inconstant puis bouleversant, prenant à contre-pied l’image d’une victime idéale presque utilitaire. Déconcertante par instant, la réalisation de Justine Triet cherche un équilibre permanent entre l’élégance dans ses compositions d’une part, et l’organique dans ses mouvements de caméras télévisuels de l’autre. En orchestrant des allers-retours entre les deux arènes distinctes du récit, la salle de procès et le chalet d’habitation, elle fabrique un rythme aussi pesant que calme, dans ce qu’il a de plus prenant.

Si on a connu plus d’audace chez certaines palmes récentes, il en faut tout autant pour capter la force subtile d’une cinéaste si passionnante. Justine Triet brouille les pistes et transcende son scénario écrit à quatre mains pour nous offrir un film beaucoup plus dense qu’il n’y paraît. Du procès de ce cette femme, elle tire une réflexion aussi inattendue que sincère sur l’organisation et l’équilibre d’un couple. En traitant aussi bien de la psychanalyse de celui-ci que de la place de l’art et son interprétation, Anatomie d’une chute ne se ferme aucune porte. Toujours sur une fine ligne, au bord de la chute, la Palme d’or demande alors une implication intellectuelle active dans un festival de plus en plus atone. Et personne n’était mieux placée que Justine Triet pour le rappeler.

4

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