FESTIVAL DE CANNES 2021 – Cinq ans après Elle, Paul Verhoeven revient sur la Croisette avec Benedetta, un long-métrage qu’il a réalisé mais également co-écrit et concentrant ses obsessions pour la religion, la figure de Jésus et l’ambiguïté féminine. Adaptation du livre Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne de l’historienne Judith C. Brown, il relate un épisode méconnu de l’histoire de l’Église et se veut une critique acerbe du fonctionnement profondément misogyne de l’institution, non sans se priver de faire écho avec notre époque.
Au 17ème siècle, alors que la peste se propage en Italie, la très jeune Benedetta Carlini rejoint le couvent de Pescia en Toscane. Dès son plus jeune âge, Benedetta est capable de faire des miracles et sa présence au sein de sa nouvelle communauté va changer bien des choses dans la vie des sœurs.
Malgré un marketing tourné vers le scandale et déjà quelques polémiques à son actif, Benedetta n’est pas un film sulfureux à proprement parler. Certes, Verhoeven ne fait pas dans la subtilité, mais comme à son habitude le ridicule vient renforcer la critique. Pour un projet qui pouvait faire craindre un male gaze déplacé et anachronique, en particulier autour d’une relation lesbienne, il n’en est rien. Le réalisateur a anticipé le problème en engageant comme cheffe-opératrice Jeanne Lapoirie, membre du collectif 50/50 pour assurer ses arrières et c’est réussi, à ce niveau du moins. Puisqu’il est vraiment à déplorer un sens de la mise en scène et des plans particulièrement faibles.
La caméra ne sait pas se poser et ses mouvements peu inspirés pourraient s’expliquer par un manque d’expérience du cinéaste, ce qui n’est évidemment pas le cas. Et ce n’est pas l’aspect baroque ou grandiloquent de certaines scènes qui pose problème, même si comme Starship Troopers à son époque, Benedetta va laisser beaucoup de spectateurs de côté. Au contraire, il y a quelque chose d’intéressant dans ces visions hallucinatoires où Benedetta pense rencontrer le Christ, dans tout ce qu’elles ont de kitsch chevaleresque. Un point de vue subjectif maîtrisé qu’aurait une femme de cette époque, n’ayant connu que la vie religieuse et aux aspirations mystiques, entre manichéisme et fantasme immature. Un angle original qui ne va pas tant chercher à condamner sa foi profonde que les conséquences réelles d’une telle aspiration, ce que résume une réplique pragmatique de l’Abbesse (Charlotte Rampling) pour qui les miracles posent beaucoup de problèmes pour ce qu’ils sont.
Diviser pour mieux régner
Ces fragilités sur la forme sont d’autant plus dommages face à la richesse de l’histoire, mais aussi et surtout des personnages et dialogues. Les enjeux de pouvoir, l’hypocrisie de l’institution et la force de persuasion de la foi sont les thèmes centraux de cette fable qui n’hésite pas à recourir à l’humour pour être d’autant plus cinglante. Dans les répliques, dont le casting se saisi avec plaisir, mais aussi par des situations parfois grotesques. Entraînant alors des allers-retours entre premier et second degré parfois flous tout le long du film, avec plus ou moins de réussite. Néanmoins, l’approche est originale, il faut le reconnaître.
Virginie Efira a, de son côté, toute confiance en son metteur en scène et cela se voit et s’apprécie. Benedetta est un personnage féminin d’une rare finesse dont elle va porter l’ambiguïté, alors que le film ne reconnaîtra jamais s’il s’agit d’une fanatique aveugle ou d’une brillante stratège qui a su au mieux profiter de l’époque dans laquelle elle vit. La religieuse veut satisfaire ses intérêts et ses désirs et retourne les stigmates d’un monde trop hiérarchisé et patriarcal pour mieux s’en sortir, quitte à laisser les autres sur le chemin.
Benedetta s’inscrit parfaitement dans la filmographie de Paul Verhoeven et son écho à Starship Troopers est impossible à détacher de son utilisation de l’humour jusqu’au grotesque, pour être d’autant plus critique. Il y fait alors aussi miroir dans sa réception par un public parfois médusé. Pourtant, Benedetta est une œuvre riche de ses personnages et évidemment de son héroïne éponyme, à la fois émancipatrice mais aussi passionnée ou calculatrice. Une histoire qui aurait mérité, outre un casting investi, une mise en scène digne de ce nom.