Critique de Decision to Leave

Un film de
Park Chan-Wook
Sortie
29 juin 2022
Diffusion
Cinéma

FESTIVAL DE CANNES 2022 – De retour en compétition oficielle, six ans après Mademoiselle, Park Chan-wook n’a rien perdu de son aura. L’avènement mondial du cinéma coréen contemporain porté par son compatriote à la palme, Bong Joon-ho, est dans toutes les têtes, et le succès qui a suivi également. Dire de son retour qu’il est attendu serait alors un euphémisme. Après son immersion télévisuelle avec sa série The Little Dummer Girl, c’est avec un thriller labyrinthique dans la veine d’un Sueurs froides sur fond d’amour impossible qu’il retrouve le chemin du grand écran.

Hae-Joon, détective chevronné, enquête sur la mort suspecte d’un homme survenue au sommet d’une montagne. Bientôt, il commence à soupçonner Sore, la femme du défunt, tout en étant déstabilisé par son attirance pour elle.

Alors que le japonais Hirokazu Kore-eda a créé l’évènement avec Broker et son casting entièrement sud-coréen, Park Chan-wook offre lui le rôle majeur de Decision to Leave à Tang Wei, actrice chinoise exilée à Hong-Kong depuis son rôle dans Lust Caution de Ang Lee. Un retour aux airs de victoires pour celle qui a vu son destin brisé en plein vol, et son avenir radieux s’assombrir. Sommet de puissance silencieuse et intriguante, elle était revenue à Cannes en 2018 avec Un grand voyage vers la nuit et partage cette fois-ci l’écran avec Park Hae-il, grand habitué des seconds rôles. Un choix de casting qui permet de puiser dans ces figures errantes pour ne garder que leur essence, sombre et perdue.

Préjugés et orgueil

Magistral, le travail de réalisation de Park Chan-wook a toujours réussi à rester contenu dans les frontières de sa narration. L’envie évidente d’emporter son public dans des séquences stylisées et des mouvements de caméra envolés à toujours été avant tout mis au service de ses histoires. Alors, ici plus que jamais, il s’amuse à moderniser les codes du thriller et du film noir en y incorporant ce qui a toujours fait la force de son cinéma. Pour le meilleur, comme pour le pire : en l’occurrence quand le film se perd dans une narration par instants faussement complexe, aux intentions assez floues.

© CJ ENM Co., Ltd., MOHO FILM

Mais ce qui a toujours fait la force du cinéma de Park Chan-wook ce sont ses personnages, et l’amour profond qu’il leur porte. D’une enquête aux circonstances troubles va naître une relation des plus tragiques, où la recherche de la vérité va enclencher une spirale où paranoïa et amour ne font plus qu’un. En questionnant la confiance et la sincérité de la victime lors de sublimes séquences d’interrogatoires, il questionne son public sur la croyance qu’il est prêt à accorder, ou non, aux émotions qui se dévoilent sous nos yeux. Jouant constamment sur ces deux tableaux, il signe avec Decision to Leave une œuvre pudique où chaque non-dit stimule la poésie qui se cachent derrière notre propre imagination. Au centre de ce jeu dangereux, la musique toujours emplie d’une douce amertume de Jo Yeong-wook vient parfaire un objet filmique des plus léchés, où chaque plan, chaque note et chaque mouvement de caméra ne font qu’une seule voix.

Forcément écrasé sous l’héritage de son propre cinéma, Park Chan-wook choisit de dévier de l’attendu avec ce thriller qui prend son temps, nous transportant avec ses personnages sur des pistes qui n’en sont pas, où la douceur d’une rencontre s’entrechoque avec le passé qu’elle convoque. Certainement trop cryptique par instants, Decision to Leave arrive malgré tout à s’extirper de ses propres pièges pour construire une composition qui porte ses fruits dans une scène finale sublime où, à la manière d’un dernier coup de pinceau, le tableau du film prend vie et nous déchire comme ses personnages.

4

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