Critique de Doctor Sleep, réparer les vivants

Un film de
Mike Flanagan
Sortie
30 octobre 2019
Diffusion
Cinéma

Tâche difficile pour un réalisateur que de réussir à créer une œuvre cinématographique ne serait-ce que réussie, lorsqu’on met bout à bout les nombreux paramètres qui peuvent tendre vers un échec. Réussir une adaptation ajoute un tout autre challenge : celui de reprendre certains pans de l’œuvre d’origine tout en justifiant sa transcription sur un médium différent et laissant sa place pleine et entière au film qu’elle devient. Si Stanley Kubrick a complété avec brio ces deux grands défis dans son adaptation de Shining de Stephen King aujourd’hui culte, c’est tout en réussissant à s’attirer les foudres de l’écrivain du Maine.

Et quasiment quarante ans plus tard vient se greffer Mike Flanagan qui, lui, propose un défi inédit au cinéma : conjuguer l’héritage de l’œuvre originale et de son adaptation aux portées radicalement différentes. Un enjeu de taille.

Encore profondément marqué par le traumatisme qu’il a vécu, enfant, à l’Overlook Hotel, Dan Torrance a dû se battre pour tenter de trouver un semblant de sérénité. Mais quand il rencontre Abra, courageuse adolescente aux dons extrasensoriels, ses vieux démons resurgissent. Car la jeune fille, consciente que Dan a les mêmes pouvoirs qu’elle, a besoin de son aide : elle cherche à lutter contre la redoutable Rose Claque et sa tribu du Nœud Vrai qui se nourrissent des dons d’innocents comme elle pour conquérir l’immortalité. Formant une alliance inattendue, Dan et Abra s’engagent dans un combat sans merci contre Rose. Face à l’innocence de la jeune fille et à sa manière d’accepter son don, Dan n’a d’autre choix que de mobiliser ses propres pouvoirs, même s’il doit affronter ses peurs et réveiller les fantômes du passé…

A travers le labyrinthe

Qui de mieux que le créateur de The Hauting of Hill House, Mike Flanagan, pour porter un drame aux relents fantastiques, un mastodonte de plus de 800 pages sur grand écran ? Si le cinéaste a marqué par l’excellence et la justesse de la série Netflix et de sa réalisation soignée, il a lui-même avoué être grandement influencé par King dans son travail, ce qu’on peut facilement lui reconnaître. La tâche était cependant ardue, le projet-même bancal tant l’adaptation de Kubrick et ce dernier sont érigés au panthéon du cinéma. C’est par un savant dosage, probablement dû par un travail à la fois de scénariste et de réalisateur, que le film parvient à trouver l’équilibre.

En tant que scénariste, dans le traitement du personnage de Danny Torrance (interprété très justement par Ewan McGregor bien qu’un peu effacé face au reste du casting) ainsi que dans le reste de la narration, il se concentre sur l’essence du roman : la résilience, la reconstruction. Mais aussi des thématiques chères à King : que ce soit le combat entre le bien et le mal mais également la solidarité dans l’adversité.

De l’autre côté, comme réalisateur, il s’amuse à reprendre certains codes de Kubrick sans entrer dans la pâle copie ou l’hommage maladroit tout en se permettant des métaphores visuelles soignées et spectaculaires à d’autres moments. Et au milieu de cela, la performance captivante de Rebecca Ferguson dans un Doctor Sleep qui ne se repose pas seulement sur la technique mais aussi ses acteurs, bien que certaines reconstitution du Shining de 1980 peuvent en surprendre plus d’un…

Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras

Flanagan s’est également attitré la tâche de monteur, le rendant à la fois juge et partie de son œuvre, ce qui a pu la mettre en danger : le premier acte souffre en effet de longueurs et d’un découpage parfois lourd qui semble faire apparaître les séquences de manière listée, prévisibles. Certes, le décor a besoin d’être planté et la trinité de personnages centraux que constituent Danny, Abra et Rose doit être établie, mais les points plus éloignés du trio de tête pouvaient facilement subir le courroux de la coupure sans problème pour la suite. Ou du moins être raccourcis, le segment d’Andi en tête, relativement mal écrit en soi. Si cela ne retire rien à la réussite globale de la suite de Shining, c’était un point évitable qui, espérons-le, ne va pas décourager les spectateurs. Car c’est dans son second acte que Doctor Sleep reprend son souffle, lance enfin l’intrigue qui connaîtra son apothéose dans sa troisième partie, qui clôt le chemin de croix de Danny. La reconstitution de l’Overlook et les retrouvailles marquent le point émotionnellement fort du récit qui pouvait au contraire s’en trouver fragilisé. On y retrouve alors toute la maîtrise de Flanagan sur son sujet.

Doctor Sleep réussit son pari là où on ne l’attend pas. Jouant à la fois sur l’hommage mais surtout sur les émotions de ses personnages. Il est porté par un trio de tête formidable et particulièrement ses deux grands rôles féminins et fait ainsi passer Shining du registre horrifique au drame fantastique. Il parvient donc à créer un lien entre l’œuvre de King et celle de Kubrick sans chercher à les concurrencer. Un travail d’une grande maîtrise qui, s’il est imparfait dans sa première partie, constitue un long-métrage saisissant.

4

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