Critique de La Grande Muraille: Zhang Yimou à la conquête de l’ouest

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Exporter ses films c’est compliqué. Pour que le cinéma hollywoodien ait l’influence culturelle qu’il a aujourd’hui, il a fallu habituer par des mesures politiques tout l’occident à « the American way of life » et plus largement à la culture, à l’esthétique et aux mœurs Etats-Uniennes. Et c’est le seul exemple de cinéma réellement diffusé mondialement, car si certains de nos films préférés de 2016 étaient des films Coréens, les films de Bollywood, de Hong-Kong, de Corée, du Chili et des autres pays utilisateurs de bobine touchent surtout un public de curieux assez restreint. Mais il semblerait que la Chine, productrice (surtout à travers Hong-Kong, sa scène indépendante) de chef d’oeuvres cinématographiques depuis un demi-siècle, a décidé qu’il fallait que ça change. En a résulté le film dont il va être question aujourd’hui : La Grande Muraille (長城) de Zhang Yimou.

William (Matt Damon) un archer anglais et Tovar (Pedro Pascal) un guerrier espagnol patibulaire sont deux mercenaires à la recherche d’une arme terrible à travers l’Est : une mystérieuse poudre explosive capable de tuer 10 hommes d’un coup. Mais leur route se trouve barrée par La Grande Muraille où une immense armée protège son pays des assauts répétés d’une monstrueuse horde, usant entre autre de la poudre qu’ils sont venus chercher. William et Tovar vont devoir faire un choix : se battre et peut être mourir pour le bien ou commettre un forfait pour la gloire et la richesse.


Zhang Yimou

Peut-être ne le connaissez-vous pas, mais Zhang Yimou est sans conteste l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma chinois. Il est à l’origine de grands classiques comme Epouses et Concubines, Le Secret des poignards volants ou encore Hero mais nous reviendrons plus tard sur sa carrière et la façon dont La Grande Muraille s’inscrit dans son œuvre. C’est en tout cas un très grand réalisateur, habitué au cinéma d’action et qui se démarque principalement par un travail sur les couleurs unique et des combats chorégraphiés d’une élégance rare.

On était donc clairement en mesure d’en attendre beaucoup de La Grande Muraille, film le plus cher de l’histoire du cinéma chinois qui plus est. Force est de constater qu’on est face à un film très décevant, même si non dénué de tout intérêt.

Grande muraille mais petite histoire

Premier problème évident avec La Grande Muraille : le scénario. Dans le générique de fin on remarque avec surprise le nom de Max Brooks, fils de Mel Brooks (qu’on ne présente plus) et écrivain américain derrière World War Z et Le Guide de Survie en Territoire Zombie. Force est de constater qu la présence de cet auteur reconnu semble avoir été absolument inutile tant le scénario du film frappe par sa faiblesse.

Ce n’est pas l’objectif premier d’un film d’action d’avoir un scénario complexe, mais les poncifs, les clichés et les facilités d’écriture se multiplient ici dans de telles mesures qu’on ne peut passer outre. Le film porte un message niais à travers des personnages inintéressants qui font face à des péripéties que l’on voit arriver à 6500 mètres à la ronde. C’est encore plus frustrant lorsqu’on fait la comparaison avec d’autres films de Zhang Yimou: Hero ,par exemple, porte une réflexion pointue sur le patriotisme et la dictature quand Le Secret des Poignard Volants est autant un drame politique et romantique qu’un film d’action. Le cinéma d’action chinois n’avait, auparavant que jamais négligé le scénario et c’est un choix qui ne réussit pas à la Grande Muraille.

Beau de loin mais loin d’être beau

La Grande Muraille, comme énormément de superproductions modernes, déborde d’effets spéciaux si bien qu’on pourrait presque y voir un hybride entre le film live et d’animation. Ce n’est pas un défaut en soi et beaucoup de films s’en sortent grâce à des décors et des personnages virtuels splendides (Le Livre de la Jungle pour ne citer que lui). Des effets visuels réussis passent inaperçus ou flattent l’œil mais en aucun cas ils ne doivent l’agresser. Et si l’armée de monstres s’en tire bien c’est la Grande Muraille elle-même qui souffre le plus, avec des faux plans en hélicoptère complètement gachés. La vraie muraille est une des 7 merveilles du monde, la muraille de Zhang Yimou est un amas de pixels moches auquel on ne croit pas une seconde et qui est loin de nous impressionner. Alors que, comme c’est le titre du film et que c’est une vraie beauté, on devrait être inondé d’images aériennes splendides: ce n’est pas le cas.

Avant d’aborder le dernier point (et le plus important à mes yeux), je voudrais tout de même dresser l’inventaire des bons aspects du film. La Grande Muraille est, malgré tout le mal que j’en dis, un film d’action plus plaisant à regarder. On ne s’ennuie pas, les acteurs sont bons (même si le jeu de Matt Damon manque d’une certaine subtilité, il n’en reste pas moins charismatique), la musique est plutôt répétitive car axée autour d’un thème récurent mais ilapporte une véritable dimension épique au film (Ramin Djawadi oblige). Les costumes sont travaillés et beaux et le film a certaines fulgurances lors de scènes d’action. Je pense particulièrement aux chorégraphies aériennes dans la scène des plongeons (le premier assaut), plus proches du style de Zhang Yimou, ou le vrai travail sur les couleurs dans la tour de la dernière scène (avec les vitraux). Par moment se glissent donc, dans la banalité de la réalisation, des plans typiques de Zhang Yimou (caméra embarquée sur les plongeuses, scènes dans le palais de l’Empereur, etc…)

Le Principal Problème

Nous en arrivons à ce qui m’a le plus dérangé dans La Grande Muraille : ce n’est pas vraiment un film chinois. La Grande Muraille n’a aucune caractéristique d’un film de Wu Xian Pian (film d’arts martiaux dans une Chine médiévale fantastique). C’est un film fait par des chinois, certes, mais uniquement pour un public occidental. La preuve est qu’on ne suit pas de héros chinois qui évoluent dans leur monde, mais des Européens qui arrivent en Chine, confrontés (comme le spectateur type qu’imagine la production du film) à un monde, une culture, une esthétique et des pratiques inconnues et qui leur semblent étranges. Le film y perd beaucoup de son exotisme et de son authenticité, mais ce problème se diffuse dans la réalisation, les scènes d’action et les combats qui se rapprochent plus d’un film américain que d’un film chinois.

Disparus les ballets épiques et  poétiques, la réalisation léchée et élégante et le montage léger et aérien. Ici les combats sont filmés en (trop) gros plan, la caméra secoue et le montage est épileptique. Si en allant voir La Grande Muraille vous espérez faire face à un choc des cultures et découvrir de nouveaux horizons cinématographiques, abandonnez tout espoir. Quelques rares moments sortent le spectateur de sa zone de confort et ils sont vite oubliés. La Grande Muraille est un film Américain avec un tampon « CHINOIS » dessus.

Que penser de la Grande Muraille ? Un moment divertissant passé devant un film d’action bourrin suffit-il à pardonner le talent d’un réalisateur gâché et une mauvaise image donnée aux films d’action chinois ? Non.

Comme entrée dans le cinéma chinois, La Grande Muraille est un très mauvais choix. C’est un film moyen, qui réussit à ne pas être désagréable, mais qui a été fait pour de mauvaises raisons. On en retire une série B niaise et stupide. La leçon à en tirer est qu’il FAUT regarder les BONS Zhang Yimou : Hero (mon préféré), le Secret des Poignards Volants et La Cité Interdite pour le cinéma d’action, mais aussi Epouses et Concubines ou le Shorgo Rouge. Je me suis forgé en tant que cinéphile en grande partie avec ces films, et si on m’avait dit qu’un jour Zhang Yimou ferait des films médiocres, je n’y aurais pas cru.

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