À l’heure de la bousculade dans les cinémas depuis la reprise et dans un contexte plus large de diversification du genre à la française, de grandes attentes reposent sur La Nuée, premier long-métrage de Just Philippot. Le réalisateur français s’est entouré de l’actrice Suliane Brahi, mais aussi de Sofian Khammes, ce dernier jouant déjà le personnage principal du déjà exceptionnel court-métrage de Philippot : Acide, récompensé dans plusieurs festivals. Ce dernier aura d’ailleurs bientôt droit à une adaptation en long-métrage.
Tombé à pic dans un cinéma français qui cherche un vent nouveau derrière le genre, Philippot a témoigné de sa confiance envers le public français pour suivre cette tendance :
Mon distributeur m’a dit que Julia Ducournau avait ouvert une voie avec Grave (…) Certains ont eu la sensation d’être passés à côté et ne veulent pas rater le coche avec La Nuée et Teddy.
Les deux long-métrages bénéficiant d’une sortie respectivement le 16 et le 30 juin, il n’y a pas de raison que les spectateurs curieux ratent une si belle occasion cette fois-ci.
Difficile pour Virginie de concilier sa vie d’agricultrice avec celle de mère célibataire. Pour sauver sa ferme de la faillite, elle se lance à corps perdu dans le business des sauterelles comestibles. Mais peu à peu, ses enfants ne la reconnaissent plus : Virginie semble développer un étrange lien obsessionnel avec ses sauterelles…
Mélange des genres
La Nuée est un film qui peut déstabiliser les spectateurs et spectatrices les plus rodés en la matière. Si sa caractéristique première est de laisser une grande place au drame social, dans une perspective tout ce qu’elle a de plus française, il n’en demeure pas moins un film de genre. S’il a pu être classé dans le registre du fantastique, son réalisateur s’attache également à le défendre dans la catégorie de l’anticipation, du film catastrophe. Et pour cause : l’agriculture, au cœur de changements majeurs face aux enjeux environnementaux, mais également la détresse des agriculteurs sont la racine du film. Et c’est cette thématique sociale forte qui va le guider pour évoluer vers le dérangeant, l’horreur organique, tout en suivant au plus près l’intimité d’une famille bouleversée. Et non pas en être une métaphore plus insidieuse. Un choix assumé donc, mais qui impose un déséquilibre narratif assez frappant au visionnage du film et qui ne laisse le potentiel véritablement terrorisant n’apparaître que dans le dernier quart d’heure du long-métrage.
Alors que La Nuée a pu être rapprochée de la filmographie de Cronenberg dont l’influence infuse effectivement l’ambiance délétère du long-métrage de l’aveu même des deux scénaristes Jérôme Genevray et Franck Victor ; les amateurs du réalisateur canadiens doivent être prévenus : on insiste plus sur la dégradation psychologique et paranoïaque que sur le body horror. Pourtant, l’utilisation particulière et assez mesurée des scènes du type dans le film n’en devient alors que plus tranchante, plus saisissante, comme avait pu le faire Grave auparavant.
Laisser le champs libre
Là où La Nuée permet quand même de ne pas tomber dans l’exercice de style ennuyeux par ses partis pris, c’est par une tension constante insufflée par la réalisation efficace, des effets réussis mêlant habilement plastique et numérique avec un dosage subtil. Loin des blockbusters de science-fiction et d’horreur tout en en ayant pleinement conscience, le long-métrage propose malgré tout des plans saisissants et des scènes d’une intensité rare. Qu’ils soient spectaculaires avec un essaim de sauterelle des plus angoissants à l’instar des oiseaux hitchcockien, comme dans l’intime perte de contrôle progressive de son personnage principal.
L’utilisation de la campagne française comme décor principal dénote également par son originalité, mais est pleinement intégrée au long-métrage sans rattachement artificiel par le simple fait de traiter de l’agriculture. Elle enferme véritablement la famille de Virginie dans une impasse géographique source d’une grande détresse émotionnelle et économique, tout en épandant des grands espaces pour lesquels il n’est pas possible de fuir la menace imminente. Le film rejoint par ailleurs Teddy dans cette utilisation ludique de ces espaces, confirmant l’intérêt de ces décors dans une recherche de modernité du cinéma français très centralisé.
La Nuée honore son pari des plus risqués : jouant sur un fil suspendu entre plusieurs exigences, le long-métrage conserve une cohérence artistique en affichant des choix francs. Parfois déstabilisant, peut-être frustrant pour les fans de genre aguerris, il est pourtant un premier long-métrage qui confirme à nouveau la qualité et l’originalité des productions françaises en la matière. Just Philippot y réussit son passage au format long haut la main, tout en confirmant qu’un travail d’équipe efficace entre réalisateur, scénaristes, acteurs et spécialistes des effets spéciaux permet de réussir à créer une œuvre aux enjeux didactiques mais profondément humaine.