Bien loin de Bac Nord ou d’Albatros qui se fondent sur une version idéalisée par les forces de l’ordre de véritables faits divers, La Troisième guerre part d’un regard critique réaliste pour construire une fiction autour de la chute d’un idéal et ses conséquences. Sélectionné à la Mostra de Venise 2020 dans la catégorie Orizzonti, il est le premier long-métrage du réalisateur italien Giovanni Aloi qui l’a co-scénarisé avec Dominique Baumard, scénariste du touchant Roulez Jeunesse.
Léo vient juste de terminer ses classes et pour sa première affectation, il écope d’une mission Sentinelle. Le voilà arpentant les rues de la capitale, sans rien à faire sinon rester à l’affût d’une éventuelle menace…
Trouver sa place
Le trio constitué en équipe prend le métro. Un pickpocket accompli son méfait sous leurs yeux, mais il n’interviendront pas. Ils sont alors pris à partie par les passagers civils et notamment la victime du vol. Choqués devant leur inaction, ces derniers leur demandent alors à quoi servent-ils ? Et à chaque fois le schéma va se répéter, pour qu’au final l’idée germe dans la tête de Léo, le personnage principal : en effet, à quoi servent-ils finalement ? Et surtout, à quoi sert-il, lui ? C’est toute cette réflexion qui alimente La Troisième guerre. Ayant interrogé plusieurs anciens militaires intervenus sur l’opération Sentinelle, déployée depuis les attentats de janvier 2015, Giovanni Aloi insuffle une véritable identité documentaire au long-métrage.
Passés par les cases remise en question, bore out (ennui, sentiment d’inutilité au travail entraînant des troubles psychologiques) puis véritable dépression, ces femmes et ces hommes ont inspiré le parcours du jeune Léo, engagé parce qu’il croit à sa mission de grand chevalier que l’armée française lui a vendue. Mais aussi, au fond, parce qu’il veut fuir le déterminisme d’une classe sociale populaire à la campagne et une famille dysfonctionnelle. Il s’agit décidément d’une des grandes thématiques actuelles du cinéma français d’auteur, cette fracture entre métropole et petites villes, entre Paris et la « province ». Parfaitement illustrée dans l’idéalisme dans lequel sont plongés les jeunes recrues avant de déchanter, qui se résume par l’une des répliques de Léo, qui dit se sentir plus étranger dans sa mission dans la capitale française que lorsqu’il est allé à Barcelone.
A la recherche du temps perdu
Des promesses qui n’ont rien d’une invention pour le réalisateur et scénariste italien qui porte un véritable regard sociologique sur l’engagement aujourd’hui. Un propos fort qui essaye même de se pencher sur le virilisme valorisé, omniprésent dans l’armée et s’exerçant à la fois sur les hommes jugés trop faibles ; mais aussi et surtout sur les femmes, à travers l’intrigue en filigrane concernant le personnage interprété par Leïla Bekhti. Trop en filigrane peut-être d’ailleurs, surtout en comparaison avec la justesse du traitement des autres thématiques et au regard de l’importance de ce personnage dans le film. Néanmoins, la force de La Troisième guerre est de ne pas tomber dans le traitement purement didactique. Filmant l’errance et l’ennui, le long-métrage fait toute confiance à son trio d’acteurs hors-pair, composés des très expérimentés Leïla Bekhti et Karim Leklou et de l’une des grandes révélations françaises de ces dernières années : Anthony Bajon.
Déjà comparé à Jarhead dans sa plongée immersive et éreintante de l’attente d’une future attaque, le long-métrage a plutôt été pensé par son auteur comme un thriller paranoïaque des années 70. Filmant chaque angle des rues d’Ile-de-France comme un terrain ennemi, chaque passant comme une menace, avant d’élargir ses plans pour mettre en perspective l’insignifiance du trio face au gigantisme urbain. Giovanni Aloi épouse ses références et garde le spectateur alerte. Tout en ajoutant une certaine poésie dans les allers-retours un peu vain de ses personnages. Bien que souvent assez classique, la réalisation se permet quelques fulgurances en profitant de ce cadre particulier et renforce l’isolement de ses personnages, bien qu’elle aurait gagné à être plus contemplative.
La Troisième guerre est plus que bienvenu dans le cinéma français. Construit sur un travail de recherche fourni, il propose un véritable point de vue sur une situation étrange, entre attente et paranoïa, et sur la prise de conscience de la fracture entre discours théoriques de l’armée et réalité sociale française. Loin de provoquer l’ennui enduré par son trio de personnages principaux, le film joue avec l’attention de ses spectateurs au milieu d’un environnement urbain valorisé par sa caméra.