Critique de Le Sommet des Dieux

Un film de
Patrick Imbert
Sortie
22 septembre 2021
Diffusion
Cinéma

La montagne est un des cadres les plus cinématographiques qui soit, et de nombreux réalisateurs s’y sont confrontés. Que ce soit au début des années 20 avec l’œuvre du cinéaste allemand Arnold Fanck, de nombreux thrillers en haute montagne ou bien le fameux Gasherbrum, la montagne lumineuse de Werner Herzog. Une distinction est d’ailleurs faites pour ces films de montagne dont les récifs doivent avoir une réelle importance dans le récit. En outre, il ne suffit pas de raconter une histoire se passant à la montagne pour en faire une histoire de montagne.

Conscient de ce poids historique et culturel, et après trois long-métrages remarqués, Patrick Imbert s’est lancé le défi d’adapter le manga créé par Jirō Taniguchi et Baku Yumemakura, Le Sommet des Dieux. Regroupé en cinq tomes et comptant près de 2000 pages, l’ensemble semblait alors inadaptable. Comment résumer une œuvre si conséquente, comportant plusieurs époques et différents récits entrelacés, sans en négliger la substantifique moelle ?

A Katmandou, le reporter japonais Fukamachi croit reconnaître Habu Jôji, cet alpiniste que l’on pensait disparu depuis des années. Il semble tenir entre ses mains un appareil photo qui pourrait changer l’histoire de l’alpinisme. Et si George Mallory et Andrew Irvine étaient les premiers hommes à avoir atteint le sommet de l’Everest, le 8 juin 1924 ? Seul le petit Kodak Vest Pocket avec lequel ils devaient se photographier sur le toit du monde pourrait livrer la vérité. 70 ans plus tard, pour tenter de résoudre ce mystère, Fukamachi se lance sur les traces de Habu. Il découvre un monde de passionnés assoiffés de conquêtes impossibles et décide de l’accompagner jusqu’au voyage ultime vers le sommet des dieux.

Quêtes existentielles…

Le premier intérêt du métrage réside dans ses quêtes entrelacées et le mysticisme qui leur est lié. En cherchant un appareil photo que le monde entier pensait perdu, Fukamachi va devoir enquêter sur une ancienne gloire de l’alpinisme, introuvable depuis des années, sans doute mort, et qui s’est transformé en véritable ermite. Habu a également une quête obsessionnelle liée à l’Everest, qu’il veut gravir de toutes les manières possibles et imaginables. Il s’agit alors de trois chimères que les deux personnages principaux vont s’efforcer d’attraper.

Il s’en dégage une ambiance très Herzogienne dans le rapport entre l’homme et la nature, ainsi que la fascination pour un objectif inatteignable. Là où ceux du journaliste Fukamachi semblent clairs et compréhensibles, ceux de l’ancien alpiniste paraissent moins évidents. En revanche, de par sa détermination et son courage, flirtant parfois avec la folie, Habu finit par fasciner le spectateur. Et c’est là que le film touche au sublime, dans son rapport au jusqu’au-boutisme et aux idéaux insatisfaits, dans cette recherche constante de l’impossible.

© Le Sommet des Dieux – 2021 / Julianne Films / Folivari / Mélusine Productions / France 3 Cinéma / AuRA Cinéma

La Montagne sacrée

Visuellement Le Sommet des dieux impressionne, surtout lors des scènes de montagne qui touchent par instants au photo-réalisme, contrairement aux séquences urbaines, plus axées sur le dessin nippon. D’ailleurs, l’alternance entre ville et montagne rejoint les idéaux des personnages principaux et les transposent chez le spectateur. En rendant sa ville fade, sans âme et peu réjouissante visuellement, Patrick Imbert en sublime d’autant plus les environnements naturels. Le spectateur en vient à attendre impatiemment les scènes d’ascension, tout comme ces alpinistes plongés dans l’ivresse des hauteurs.

Bien qu’elle soit magnifique, la montagne n’en est pas pour autant bienveillante. Souvent mis en scène de manière imposante via de sublimes plans d’ensemble ou de vertigineuses plongées et contre-plongées, ces pitons rocheux restent dangereux. On touche presque au fantastique par instants, tant l’aura mystique de l’Himalaya est retranscrite avec brio. Des choeurs de femmes transposent même l’ascension finale dans une réelle épopée mythologique où l’homme, impuissant mais courageux, se bat face à une nature plus forte, attirante mais meurtrière.

Le défi n’était pas facile mais Patrick Imbert le relève et signe un véritable chef-d’œuvre. Contrairement au Gasherbrum de Herzog, axé sur la préparation psychologique d’une ascension, Le Sommet des dieux s’attache bien plus à sa partie physique, rude et dangereuse. En questionnant la nature humaine sur de tels objectifs sportifs et la quête de l’impossible, le film s’inscrit dans sa droite lignée pour marquer, à son tour, l’histoire du cinéma.

4.5

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