Critique de Mandibules

Un film de
Quentin Dupieux
Sortie
19 mai 2021
Diffusion
Cinéma

Il s’est écoulé 20 ans depuis la sortie de l’OVNI Nonfilm, et difficile depuis de ne pas avoir entendu parler de son auteur Quentin Dupieux. Après deux reports de sa sortie en salle pour cause de crise sanitaire, Mandibules, sa nouvelle comédie arrive enfin sur les écrans dé-confinés des cinémas.

Son pitch absurde, fait de mouche géante et du Palmashow, a suscité de grandes attentes. Et après deux longs-métrages en forme de parenthèse plus consensuel depuis Réalité, on se posait timidement la question de savoir si Quentin Dupieux allait retrouver le feu sacré.


Jean-Gab et Manu, deux amis simples d’esprit, trouvent une mouche géante coincée dans le coffre d’une voiture et se mettent en tête de la dresser pour gagner de l’argent avec.

Drôle de créature, drôle de création

Abordons directement l’éléphant dans la pièce : oui, le présupposé de Mandibules est une trouvaille forte intrigante. Deux amis losers et benêts sur les bords trouvent une mouche géante dans un coffre de voiture. À l’instar de ses précédentes productions, Quentin Dupieux met directement les pieds dans le plat du scénario loufoque à la simple lecture du pitch. Mais une petite exception près : lui qui s’est illustré tout au long de sa carrière dans le domaine de la méta-fiction, Dupieux délaisse dans Mandibules ses us et coutumes pour nous livrer une œuvre presque entièrement premier degré. Seulement voilà, à la lumière de la vision du métrage, se pose alors la question suivante : l’ironie si chère au réalisateur ne réside t-elle pas justement dans le fait de traiter son récit de façon aussi linéaire ? Car linéaire n’est pas toujours synonyme de prévisible…

Mais Mandibules est étrangement vide. Son intrigue se déploie passivement à grands renforts de scènes renvoyant les protagonistes au point de départ, sans vraiment les développer plus qu’en dérivant leur bêtise. Le film ne souffre paradoxalement d’aucune longueur particulière, mais peine à mettre en place une dynamique stimulante, tombant la plupart du temps dans une sorte de sur-place narratif. Une léthargie complaisante illustrée par de longues phases de dialogues entre les deux compères dont la désinvolture amuse en premier lieu mais ne galvanise pas.

La relation entre la mouche et le personnage de Jean-Gab s’en sort plutôt bien mais manque dans son exécution d’originalité, ne sortant pas du carcan auquel tout les films sur les amitiés entre hommes et bêtes nous ont habitués. Les personnages secondaires manquent quant à eux pour la plupart cruellement de caractérisation. Même les plus bigarrés comme celui d’Agnès (Adèle Exarchopoulos) semblent souffrir d’un « je-m’en-foutisme » dans leur conception : à la suite d’un accident de ski, cette dernière ne peux pas s’empêcher de parler de manière bruyante et agressive. Bonne idée sur le papier, beaucoup moins dans les faits où le personnage est effectivement accusateur et agressif, donc la blague ne fait pas mouche. À cette image, tous les tentatives de construction de l’œuvre tombent à plat, simplement laissées sans-suite. Il n’y a aucune morale particulière à retenir du récit autre que le « En fait, je crois que je m’en fous » , ode tiède au « pouvoir de l’amitié » de l’épilogue.

Sous-raconter une idée ?

Mais se pourrait-il que ce manque de flamboyance soit volontaire, peut-être une nouvelle facétie de Quentin Dupieux, qui nous a déjà maintes fois habitué à se complaire dans le fait de tordre le cou aux codes ? À l’instar d’un Jim Jarmusch pour l’écriture de son The Dead Don’t Die, axée sur le fait de prendre à contre-pied les attentes des spectateurs ? Fausse piste à priori, puisque Quentin Dupieux déclare en interview :

Je ne cherche pas à créer cet espèce de truc incompréhensible […] je n’ai pas envie d’embrouiller […] je suis un mec simple, j’aime les sensations […] Tout ce qui va sur-raconter une idée, ça me gonfle.

Quentin Dupieux

On se demande donc si Mandibules n’a pas d’autre but que d’être la simple mise sur pellicule d’une envie de rire et d’évasion sur la Côte d’Azur. Car il est vrai que certains gimmicks font rire (« Taureau ! ») et certaines lignes de dialogues sont bien senties. Le rendu de la mouche est très convaincant. On sent à travers tout ces éléments une envie de faire voyager, loin de la grisaille et des soucis à travers ces plans qui plantent efficacement un Sud où chantent les cigales, la carrosserie vétuste de la voiture et la chemise rose usée par le sel et le soleil du personnage de Manu (Grégoire Ludig).

Le film est tout public, vierge de toute violence excessive, plus innocent que l’ambiance pesante de Le Daim. Cependant, il est difficile de parler de sensations devant Mandibules. La faute à une absence de spontanéité dans ses rouages, un côté forcé qui désamorce l’hypothétique sympathie que l’on devrait éprouver à son encontre. La performance proche de l’improvisation trop longue de ses rôles titres, à l’inverse les lignes mécaniques et redondantes des seconds couteaux, les choix de montage discutables, l’enchaînement sans transition inspirée des séquences, autant d’éléments qui entres-autres donne plus une sensation de pilote-automatique que de réelle immersion.

Mandibules est donc une œuvre difficile à cibler, rien d’étonnant une fois son auteur identifié. Mais là où ce constat se révélait la plupart du temps mélioratif, il constitue ici une faille. On ne sait pas quoi en penser, plus par manque de branches auxquelles s’accrocher que par trop plein de sens qu’on peut lui prêter. Le film se situe à la frontière entre le désinvolte et le poussif, un curieux carrefour qui plaira peut-être à certains, mais qui laissera aussi vraisemblablement l’impression d’un nonfilm à d’autres, 20 ans après l’œuvre éponyme.

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