FESTIVAL DE CANNES 2021 – Il n’avait plus foulé le tapis rouge de la compétition officielle depuis 2012 avec son Moonrise Kingdom, mais depuis Wes Anderson s’est fait une place de choix dans les cœurs des cinéphiles. Inlassablement repoussé, The French Dispatch a enfin quitté l’imprimerie pour arriver sur nos écrans. Déclaration d’amour à une presse idéalisée qui ressemble à l’antenne française d’un The New Yorker, le dernier film d’Anderson concentre tous les ingrédients de son succès, et par la même occasion ce qui en agace plus d’un.
Le journal américain The French Dispatch possède une antenne dans la petite ville française d’Ennui-sur-Blasé. Arthur Howitzer Jr., le rédacteur en chef, envoie ses journalistes enquêter dans les quatre coins du pays. Trois articles traitent de divers sujets : Moses Rosenthaler (un détenu psychopathe qui se révèle être un grand artiste), les évènements de Mai 68 et enfin une enquête gastronomique qui vire au polar.
Localisé dans la ville fictive d’Ennui-sur-blasé (Angoulême déguisé en un Paris inspiré), l’action du film se construit autour de la mort du rédacteur en chef, Arthur Howitzer Jr., pour y faire se télescoper trois segments distincts. Comme tout film « à sketches », le plus emblématique de tous tend souvent à cannibaliser le reste de l’œuvre, et si Anderson cherche au mieux à équilibrer sa construction, il est évident que les évènements de Mai 68 prennent le pas sur le reste, en particulier sur l’enquête gastronomique qui est bien en deçà de l’ensemble. Et si l’idée d’un film anthologique autour des articles de ce journal fonctionne, on se demande assez vite si ce choix n’est pas plus symptomatique d’un trope de narration que d’un véritable parti pris.
Corrections d’un Manifeste
Le cinéma de Wes Anderson a toujours assumé son aspect bourgeois et dandy, et The French Dispatch illustre à la perfection sa personnalité hors-du-temps. En cherchant à dépasser l’aspect purement symétrique de son style, il étoffe sa panoplie d’auteur et nous offre la douceur des relations qui a participé à forger notre amour pour ses personnages. C’est évidemment dans le segment soixante-huitard que le film puise sa force, et dans ce trio complètement inattendu formé par Timothée Chalamet, Frances McDormand et la révélation de Papicha et Gagarine : Lyna Khoudri ; mais également toute sa force graphique. Le cinéaste est plus que jamais proche de la bande dessinée qui nourrit son travail depuis ses débuts et dont il transcende les codes ici, dans des cadres qui dépassent la simple construction en miroir pour travailler sur les textures et les contre-jours.
Malgré tout, l’ensemble semble vain, comme désarticulé. Et cela, malgré de très beaux moments poétiques, comme dans l’autre duo fort du film formé par Léa Seydoux et Benicio del Toro. A vouloir convoquer la quasi-totalité des acteurs contemporains, Wes Anderson ne réussit pas complètement à reproduire ce qui a fait son succès. En ressort malgré tout une créativité toujours aussi inspirée et une bande-son incroyable de Jarvis Cocker reprenant les plus grands titres français de l’époque sous le chanteur fictif Tip-Top.
Si The French Dispatch n’a pas la maîtrise d’un The Grand Budapest Hotel ni la virtuosité de Fantastic Mr. Fox, il incarne malgré tout un amour sincère pour son univers, sa liberté et sa création. Wes Anderson croit profondément à la beauté de ce qu’il filme, et tant pis si l’ensemble ressemble à un joyeux bordel gentiment enveloppé par le parfum d’une France proche du conte. Il arrive à tirer le meilleur de son incroyable casting, et même si les trois segments sont inégaux, nous transporter dans cette véritable troupe, comme un retour à l’essence même d’un cinéma artisanal.