Critique de Zaï Zaï Zaï Zaï

Un film de
François Desagnat
Sortie
23 février 2022
Diffusion
Cinéma

Déjà culte sous le trait et la plume de Fabcaro, Zaï Zaï Zaï Zaï est un sommet d’humour absurde au rythme effréné. Monument de la bande dessinée française, l’œuvre de Fabcaro a toujours été vue, et non sans arguments, comme inadaptable. Au cinéma, le film se construit forcément dans la trahison, une trahison étonnamment fidèle mais où François Desagnat se permet de subtiles écarts, pour l’ensemble plus honnêtes que justifiés.

Proche d’un non-sens associé à l’écriture britannique, fièrement incarné par les Monty Python, Fabcaro insuffle à des situations de vie banales l’absurdité de l’homme, confronté à un minimalisme révélateur. De ses cases au dessin épuré et de la quasi-absence de mouvement, il tire l’essence d’un humour dépouillé où le cinéma ose rarement s’aventurer.

Fabrice, acteur de comédie, réalise qu’il n’a pas sa carte de fidélité alors qu’il fait ses courses. Malgré la menace d’un vigile, il parvient à s’enfuir. Commence alors une cavale sans merci, pour celui qui devient rapidement l’ennemi public numéro 1. Alors que les médias s’emparent de l’affaire et que le pays est en émoi, le fugitif, partagé entre remords et questions existentielles, trouve un point de chute inattendu, quelque part en Lozère.

Poireau, roulade et trahison

Une carte de fidélité, un poireau, un artiste pommé et une roulade arrière. Voici succinctement les éléments déclencheurs d’une chasse à l’homme à la portée nationale. De ces prémices, Fabcaro livre une histoire dépouillée, quasi performative, où chaque page s’enfonce un peu plus dans l’absurde à la manière d’un spectateur qui zapperait entre les ramifications d’une histoire aussi stupide que génialement révélatrice sur le statut de l’artiste et de la consommation. Un procédé au rythme effréné qui est tout simplement impossible à retranscrire en film, car là où Fabcaro prolongent rarement ses scènettes sur plus de six cases, François Desagnat est obligé de construire un contexte tout au plus crédible avant de basculer dans l’absurde. Un processus qui dénature forcement une des plus grandes forces de la bande-dessinée, mais qui aurait épuisé un film qui se condense pourtant déjà en moins d’une heure trente.

© Cécile Mella / 24 25 Films, Apollo Films, Orange Studio, France 3 Cinéma

Se pose alors la question de l’intérêt d’une adaptation filmique qui, forcément dénaturée de son dispositif initial, en rebutera certains. Un début de réponse se trouve certainement dans ce qui fait vivre un long-métrage : ses interprètes. Car si la superficialité des personnages d’origines fonctionne à merveille dans l’œuvre de Fabcaro, c’est ici sous les traits d’un Jean-Paul Rouve plus que jamais dévoué à son rôle qui le sied à merveille que le film s’envole. Dans un casting parfait à l’alchimie comique incroyable, Julie Depardieu transforme une passivité tragique en sensibilité touchante et Ramzy Bedia campe un personnage écrit spécialement pour le film qui capte l’essence du statut d’artiste de la BD pour le transposer ici dans le cadre d’un acteur de cinéma à l’actor studio plus qu’envahissant.

Pourtant, avec un tel matériau de base, on espérait une direction artistique beaucoup plus forte, à l’image des tentatives de réalisation plus ou moins réussies de la dernière adaptation de Fabcaro au cinéma : Le Discours. La proposition visuelle de Zaï Zaï Zaï Zaï, peut être trop fidèle, est finalement assez sage. Des cadres très minimalistes de la bande-dessinée on aurait aimer tirer une radicalité assumée qui s’inscrit parfaitement dans l’œuvre et son propos, ce n’est pas le cas. Sur un point pourtant, le film sort du lot : la bande-originale de Yuksek. Déjà sollicité sur la série En Thérapie où son travail a été salué, il livre ici une partition aux sonorités comiques assumées et travaillées, où l’implication et le respect pour la proposition absurde montre une profonde compréhension et respect pour la proposition artistique.

Forcément, cette version de Zaï Zaï Zaï Zaï est une trahison. Une de ces trahisons qui respire pourtant un tel respect pour son matériau d’origine qu’il en est difficile de ne pas être emporté dans la démarche. C’était évident, Zaï Zaï Zaï Zaï était tout simplement inadaptable en l’état, mais ce qu’en fait François Desagnat dépasse le simple appel au profit pour une œuvre qui, bien que trop effacée sous le poids de son héritage par instant, voue une confiance aveugle dans ses personnages et ceux qui les incarnent. L’ensemble sublime alors une histoire tellement stupide qu’elle en devient indispensable dans l’horizon étriqué de la comédie française.

3.5

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