Salut à tous et bienvenu dans ce nouvel épisode de Tellement beau que c’en est gênant. Aujourd’hui, c’est le jour du regret. Aujourd’hui c’est le jour de la rage, aujourd’hui c’est le jour de l’envie aujourd’hui: c’est Jodorowsky’s Dune!
Bon, comme je pense que parmi vous il y en a qui, à cet instant précis, arborent une expression niaise d’incompréhension pantoise, je pense qu’un petit rappel est nécessaire. Dune c’est un roman fleuve de science-fiction écrit par Franck Herbert et publié en 1965. L’intrigue prend place en 10191, dans un monde où l’homme a domestiqué l’espace, le voyage stellaire ayant été rendu possible par l’épice, une substance décuplant les capacités physiques et faisant pleins d’autres trucs supers-bizarres. Dune se base sur un univers ultra-foisonnant et profond où rien n’est laissé au hasard et laisse une grande place aux jeux de pouvoir et à la politique au sein d’un système féodale. Le premier Dune se concentre sur la domination d’Arrakis, planète désertique à l’origine de l’épice. Jusque là sa responsabilité revenait à la famille Harkonnen mais, pour de mystérieuses raisons, l’Empereur confie Arrakis aux Atréides, la maison concurrente des Harkonnens. Le duc Leto, sa concubine Jessica et son fils Paul (le héros) vont donc emménager sur Arrakis et se rendre compte qu’il se tiennent au centre d’un immense complot visant à les détruire.
Suivra ensuite le cycle de Dune, une série d’autre livres enrichissant encore l’univers de Dune qui continue de s’étendre aujourd’hui sous la plume de divers auteurs. Dune est donc un immense classique de la science fiction. Un détour par la case « cinéma » était donc presque indispensable. Et si je vous dis Dune au cinéma vous allez sans aucun doute me parler de l’adaptation bonne mais insuffisante qu’en a fait David Linch. Mais ce n’est pas le seul projet d’adaptation de Dune qui soit jamais parvenu à nos esgourdes. Et aujourd’hui on va parler du film annulé le plus fantasmé de l’histoire du fantasme: Le Dune de Jodorowsky.
Alejandro Jodorowsky est un cinéaste, romancier et scénariste de BD chilien (et mime aussi mais on s’en fout). En 1975, le réalisateur de El Topo commence à préparer une adaptation du roman de Frank Herbert. Le projet prend vite des dimensions démentiels. Ça devait être un film de 12 heures avec entre autres au casting Orson Wells, Salvador Dali (payé 100 000$ la minute à l’écran), Alain Delon et Mick Jagger. Mais surtout, afin de donner une véritable identité artistique à son film, Jodorowsky engage une tripotée d’artistes de bande-dessinée comme H.R Giger, Chris Foss, Richard Corben et surtout MOEBIUS! Le super dessinateur de fou, la star de Métal Hurlant Alors s’il ne reste pas grand chose du film, il reste au moins des dessins, des designs et des storyboards. Alors je vous laisse regarder ça, je vous retrouve après. Mais d’abord, une petite citation pour comprendre l’image qu’en avait Alejandro.
« Je ne veux pas que l’homme conquiert l’espace dans les navires de la NASA, ces camps de concentration de l’esprit, ces congélateurs gigantesques vomissant l’impérialisme, ces tueries de pillage et de rapine, cette arrogance d’airain et de soif, cette science eunuque, bave de crapaud n’effleurant qu’à peine le divin, le délirant, le superbe chaos universel. Je veux des entités magiques, des véhicules vibrants pour prolonger l’être de l’abîme, comme les poissons d’un océan intemporel. Je veux des bijoux, des mécaniques aussi parfaite que l’âme, des ventres-navires, antichambres de la renaissance pour d’autres dimensions. Je veux des navettes courtisanes, mues par le sperme d’éjaculations passionnées dans un moteur de chair. Je veux des fusées complexes et secrètes, des navires-oiseaux, butinant le nectar millénaire des étoiles naines des cuirassés assoiffés se mourant siècle après siècle dans un désert d’étoiles, attendant le corps vivant qui remplira leurs réservoirs vides des sécrétions subtiles de son âme… »
« Pour moi, Dune devait être l’avènement d’un nouveau dieu. Je voulais créer quelque chose de sacré, de libre, avec une vision unique. Je voulais ouvrir les esprits ! »
Bon, alors… C’est beau non? Ouais. C’est spécial. Bon on va commencer par dire que Jodorowsky voulait tellement faire un film personnel qu’il a très vite finit par évincer Herbert du projet. Pourtant les dessins sont assez proches du travail habituel des artistes. C’est surtout vrai pour ceux de Moebius qui semblent tout droit sortis d’un numéro de Métal Hurlant. Mais il se dégage quand même de tout ces dessins une esthétique à part. Parfois très organique, parfois teintée d’érotisme, souvent marqués par le gigantisme, mais presque toujours avec une volonté dépaysante. Ce film avait une âme, une pensée propre. Après tout ça ne serait que justice… Au plus grand roman de science-fiction de tous les temps, le plus grand film de tous les temps (c’est ce qu’en disait Jodo). De ce film il existe encore des bouts dans l’imaginaire de chacun tant il a marqué le monde du space-opéra. Un film fantôme, irréelle et fantasmé… Mais bon si ces dessins vous plaisent, vous pouvez toujours essayer de vous procurer l’artbook du film mais honnêtement j’ai cherché… J’ai pas trouvé. Mais quand on se penche sur le projet, on a face à nous les bribes d’un film au potentiel énorme. Peut-être trop énorme.
« A ce stade, s’il avait fallu me couper les deux bras pour faire ce film, je l’aurais fait. J’étais même prêt à donner ma vie pour le tourner. »
En effet, comme vous vous en doutez le film n’a jamais vu le jour et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord le budget devenait exorbitant, du à l’ambition du réalisateur et à quelques aberrations (Oui Salvador c’est de toi que je parle). En plus les producteurs rechignaient à donner trop de moyens à Jodorowsky, le gaillard étant jugé trop instable. Et puis Jodorowsky, c’est pas le genre de gars à se plier aux impératifs du marché. Il ne fait pas du-tout dans le commerciale. Les producteurs étaient presque sûrs de perdre de l’argent sur ce coup. Et donc ce rêve de Geek est tombé à l’eau. Mais une parti de l’équipe et du matériel est parti sur le tournage d’un autre film de science-fiction plus réalisable et sur lequel bien peu de personnes auraient misé: Star Wars. Jodorowsky, quant-à lui, scénarisera une BD appelée « La Caste des Méta-Barrons », fortement inspirée de Dune et qu’on voit un peu comme une vengeance. Mais personne mieux que Alejandro lui même ne vous expliquera l’échec de son bébé alors… Voilà:
« Le projet fut saboté à Hollywood. Il était français et non américain. Son message n’était pas « assez Hollywood » . Il y a eu des intrigues, du pillage. Le story-board a circulé parmi tous les grands studios. Plus tard, l’aspect visuel de Star Wars ressemblait étrangement à notre style. Pour faire Alien, on a appelé Mœbius, Chris Foss, H. R. Giger, Dan O’Bannon, etc. Le projet a signalé aux américains la possibilité de réaliser des films de science-fiction à grand spectacle et hors de la rigueur scientifique de 2001, l’Odyssée de l’espace. Le projet Dune nous a changé la vie. Quand on ne l’a pas fait, O’Bannon est entré dans un hôpital psychiatrique. Après, il est revenu à la lutte avec rage et a écrit douze scripts qui lui furent refusés. Le treizième fut Alien. Comme lui, tous ceux qui ont participé à la montée et à la chute du projet Dune ont appris à tomber mille fois avec une obstination farouche jusqu’à apprendre à se tenir debout. Je me rappelle mon vieux père qui, en mourant heureux, me disait : « Mon fils, dans ma vie, j’ai triomphé parce que j’ai appris à rater » »
Bien plus tard un documentaire intitulé « Jodorowsky’s Dune » reviendra sur l’échec de ce projet dantesque. Deux ans après sa sortie à l’internationale, il sort enfin en France ce mercredi 16 Juin. Alors si vous êtes intéressé, foncez c’est de la bonne. Sur ces belles paroles je vous fais de gros bisous et je vous dis à bientôt. Mais surtout n’oubliez jamais que QUI CONTRÔLE L’ÉPICE CONTRÔLE LE MONDE !
PS: Je vous laisse avec le trailer du documentaire. Parce que LE DORMEUR DOIT SE RÉVEILLER !