BD franco-belge et cinéma : je t’aime moi non plus ?

Valérian est sorti sur les écrans depuis quelques temps déjà. Et, encore une fois, le film de Luc Besson ne laisse personne froid. Adulé, accepté, critiqué. Toutes les réactions peuvent se retrouver dans le vaste océan du net. Là où les houles d’adoration et de rage se battent de manière éternelle. Mais plus qu’un nouveau film de science-fiction, français qui plus est, dont nous pouvons nous réjouir au sein de la rédaction d’Erreur 42, nous faisons ici face à un événement de taille : l’adaptation d’une BD franco-belge. Et pas n’importe laquelle : Valérian et Laureline du superbe duo Christin / Mèziéres. L’indice, la preuve, que l’éclat de la BD franco-belge, malmenée parfois par des angoisses d’élitisme et d’art vieillot, est encore présent dans le monde cinématographique. Comme il la toujours été.

Le cinéma, dans sa définition propre, est l’art de raconter par l’image et son mouvement. Le parallèle est clair avec la BD qui, malgré la prison des planches instaurant l’immobilisme, possède le même but : raconter par l’image. La rencontre des deux mondes n’est donc que logique. Encore plus, dans un prisme cinématographique qui s’est toujours régalé d’adapter, de piocher des idées de ça et là jusqu’à réecriture complète des classiques, de la BD franco-belge ou pas.

Voici deux exemples assez intéressants concernant le traitement des BD franco-belges au cinéma.


Blueberry Charlier et Jean Giraud par Jan Kounen avec Vincent Cassel

La bande dessinée

Blueberry, c’est l’image de l’excellence de la BD franco-belge de l’époque. Créé par Jean-Michel Charlier, l’auteur aux milles aventures derrière le mythique magazine Pilote et bien des mythes actuels de la BD. La plume de Charlier possédait ce talent précis d’étaler les intrigues sur plusieurs tomes notamment avec un suspens et un sens du récit qui ont propulser les aventures du du Cow-boy dans les meilleures ventes de l’époque. Mais, Blueberry, c’est aussi une personnalité importante au dessin, les débuts d’un certain Jean Giraud : l’homme qui deviendra l’un des plus grands dessinateurs au monde, à la création aussi multiple que ses identités. Alors élève de Jigé, rien que cela !

  
Le western franco-belge que nous livre ces deux hommes est une pierre angulaire de la BD franco-belge pour plusieurs raisons. Les thématiques abordées par cette œuvre se veulent volontairement à contre-pied d’une scène de western enjouées où l’aventure prime sur la réalité de l’époque. Blueberry est réaliste, violent, sombre. Le Far-West, cette terre emplie de fantasmes de l’imaginaire, nourrie par les mythes d’une terre nouvelle et de la quête infernale de l’ultime frontière, possède ici un portrait juste. Pas glorifié, souvent dénoncé. Il n’est pas rare de retrouver, entre le flegme du héros et le side-kick aussi rigolo que bourré, des problématiques d’une ère sombre de l’histoire de notre monde. Ainsi, le comportement des colons vis à vis des natifs est abordé, et ce plusieurs fois. Notamment la thématique de la course aux rails, du paradoxe de l’armée et de la justice qui n’en a de juste que le nom. Et pour parfaire cela, pour souligner ce réalisme sombre, Charlier n’hésite pas à faire de son héros principal un homme ne comprenant ni l’armée ni les paradoxes qui l’entourent. Car Blueberry est un point de fixation qui se sent plus proche des natifs que des colons qui permet de se poser nos propres interrogations tout en suivant les siennes.

L’écriture, géniale, est ici sublimée par le dessin de Jean Giraud. Tout d’abord timide, il s’affranchit au fur et à mesure des tomes du style de Jigé pour porter le sien. Style inimitable au demeurant, la simplicité du début laisse place à toutes les caractéristiques du Gir : des lignes à perte de vue, des gueules sales et cassées, des décors superbes et une action superbement retranscrite.

Le Film

Cette BD fut donc portée à l’écran par Jan Kounen en 2004. Le casting comporte quelques grands noms : un certain Vincent Cassel, une superbe Juliette Lewis (sans le lipstick) qu’il est toujours appréciable de revoir et un Michael Madsen étrange. Et, sans étonnement, le film fut un échec. Total. Du point de vue critique comme de la rentabilité économique. « Rien à voir avec la BD », « Personnage insipide », « Masturbation de cinéma français sur le western ».

Un film au problème facilement identifiable : la volonté du réalisateur n’était pas de faire un film Blueberry mais bel et bien un film sur l’univers chamanique. Il n’est donc pas étonnant de retrouver un film axé sur cette thématique. Il ne serait d’ailleurs pas idiot, si nous souhaitions extrapoler encore plus loin, d’y voir une continuité de la philosophie de Jean Giraud qui, au détour de ses voyages, s’essaya aux trips shamaniques et en revint changé…


La trilogie Nikopol de Enki Bilal Immortel ad vitam de Enki Bilal

La bande dessinée

Enki Bilal, né en Serbie le 7 octobre 1951, est à la BD ce que Denis Villeneuve est au cinéma actuellement : un renouveau d’un art, entre la poésie et la science-fiction. Au travers de ses œuvres, véritables perles de dessin, de couleur et d’onirisme, l’auteur porte notre regard sur des thématiques comme le temps, la mémoire, mais également l’humanité et sa condition. Art souvent inspiré par ses années sous le régime communiste de Tito et son exil ensuite en France, il possède également une réelle identité dans son style graphique.

La bibliographie de Enki Bilal est remplie de perles et je ne peux que, tout comme Erreur42, vous dirigez vers des romans graphiques tels que : la Trilogie du Coup de Sang (2009/2014), La Tétralogie du Monstre (1998/2007) mais surtout la Trilogie Nikopol. C’est d’ailleurs de cette dernière trilogie que nous allons maintenant parler. Une œuvre majeure de la BD.

La Trilogie Nikopol est le parfait exemple du style de Bilal : un mélange de science-fiction, de poésie, de fatalité et de saleté d’un monde. On y suit les aventures d’un trio détonnant : du dieu échappé des siens, d’un Baudelairien provenant du passé jusqu’à une femme mystérieuse a la chevelure bleutée. L’auteur tire inspiration de sa vie, de son empirisme pour nous créer un monde fictif superbe : inventif et sombre où se mêle symbolisme onirique et réel torturé… Une vision d’un monde future où se rencontrent diverses époques dans une cohabitation emplie de poésie et de beauté.

Car la beauté ne provient pas seulement de cette histoire, de l’inventivité de celle-ci. Elle provient aussi du talent qu’Enki Bilal a pour nous offrir des visions. Chaque case est travaillée selon un procédé artistique dont le résultat estomaque : faîte à l’huile, isolée, elle est ensuite incorporée dans la narration et le fil des planches. Chaque case équivaut, donc, à une œuvre en elle-même. Une peinture à l’huile mis en BD. Et, y a pas à dire, on est chanceux de pouvoir mettre nos doigts là-dessus.

Le Film

Sorti la même année que le pas très bon Blueberry, Immortel est une pierre importante pour le cinéma Français et sa SF grâce à un parti-pris graphique intéressant qui mélangeaient, alors, effets numériques et images réelles. Rien de bien surprenant à notre époque, oui. Mais cela n’est pas sans oublier le talent d’Enki Bilal pour la réalisation. Pas à son premier coup d’essai après l’étrange et intéressant Bunker Palace Hotel, il mène ce film de bout en bout pour nous offrir sa vision à lui de l’adaptation de son œuvre. Scénario riche de détails, esthétiques et décors inventifs et dans la droite lignée de son œuvre originelle : une touche de bande-dessinée, de peinture à l’huile sur la toile. Différente celle-ci, mais avalant tous aussi bien les coups de pinceau d’un si grand artiste.
Ce film est un film culte qu’il faut absolument avoir vu. Oui. Je suis comme ça.

OKAY ?

Bien sûr, en terme d’adaptations de BD au cinéma, nous aurions pu parler d’une bonne dizaine d’autres. Avec tout autant de verve et de talent. Mais le choix de ces deux-là n’est pas anodin. Il s’agit, avant tout, de souligner le traitement de la BD au cinéma qui, comme à la littérature actuellement où les adaptations s’enchainent encore et encore, pose la problématique du portage à l’écran. Elle est la suivante : un art est un média, un moyen de communiquer, de raconter. Porter un Art sur un autre médium entraîne donc une transposition, une traduction du message et de la façon de le porter. C’est pour cela qu’une adaptation, au final, même si fidèle, ne sera toujours qu’une réécriture avec des nouveaux codes et outils. Alors, entre la réécriture intimiste de Jan Kounen et le portage d’une vision d’artiste via un autre art de Enki Bilal : à vous de choisir.


L’influence de la BD franco-belge dans le cinéma

L’aura dont jouit la BD franco-belge ne s’arrête pas à de « simples » adaptations. Elle est également l’essence de visions, d’univers, de décors à des costumes devenus cultes avec le temps. Il n’est pas étonnant de savoir que des gens comme Moebius ont été approché par la direction du Dune de Jodorowsky (avec qui il fera le superbe Incal) voir même du superbe film Alien dont on ne retiendra de son travail que les costumes spatiaux.

Ce n’est pas une surprise car la science-fiction actuelle, ou contemporaine de l’époque, a été marqué par des gens sortis tout droit de la bande-dessinée française. De Druillet à Moebius, il n’y a qu’un nom : Metal Hurlant. Un magazine qui, en plus de révolutionner la BD par la déstructuration des planches et des cases, a mis en valeur bon nombres d’auteurs devenus cultes. Il était surtout le nid de récits de science-fiction emplis de talent et d’originalité. Et son héritage, visible dans plusieurs films (Druillet et son vaisseau titanesque de les « Les 6 voyages de Lone Sloane » sorti en 1972 n’est pas sans rappeler les vaisseaux immenses de L’Empire, ou bien Le 5ème Element qui s’inspire totalement des travaux de Moebius) se trouve maintenant dans la culture populaire. Inconscient ou non, il est possible d’y retrouver des germes. Dans les visions, mais également dans l’esprit. Car Métal Hurlant était surtout, et avant tout, un vent de fraîcheur et de liberté sur un art empoisonné dans ses propres codes.

Cette liberté, cette soif d’inventivité et d’originalité. Tour à tour folle, la BD peut devenir intimiste, sauvage et érotique, sale et belle. Et cette volonté, cette vision de créer (sans dire qu’elle provient seulement de la BD franco-belge) a aussi eu une aura particulière grâce à Métal Hurlant et à la BD Franco-belge.

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