Initialement prévu pour les salles obscures, le nouveau Pixar Alerte Rouge s’est vu relégué sur Disney+, comme Luca et Soul avant lui. Un choix une nouvelle fois justifié par le contexte épidémique, qui n’a pourtant pas empêché Disney de sortir son Mort sur le nil en salles, et qui n’a évidemment aucun lien avec le fait que ces trois films sont également des premiers long-métrages. Le premier film, ici, c’est celui de la très prometteuse canadienne Domee Shi, qui avait déjà réalisé le bouleversant court-métrage Bao.
25ème film du studio, il s’agit également du premier réalisé en solo par une femme : entrainant, sans grande originalité, les foudres de certains spectateurs frustrés devant l’audace de proposer un regard profondément féminin sur l’adolescence.
Les aventures de Meilin Lee, une jeune adolescente de 13 ans, pleine d’assurance, mais tiraillée entre son image de petite fille modèle aux yeux de sa mère hyper protectrice et le chaos de l’adolescence. Et comme si tous les changements qui s’opèrent en elle ne suffisaient pas, chaque fois qu’elle est débordée par ses émotions – ce qui, pour une ado, arrive quasiment tout le temps – elle se transforme en panda roux géant !
Le changement, c’est maintenant
La trame narrative d’Alerte Rouge ne révolutionne pas le genre, mais sa réussite est autre. Avec sa réalisation des plus vives, et un style qui change de ce qui devenait des poncifs chez Pixar, le long-métrage est dynamique, coloré et profite un maximum de son medium pour proposer des visuels aux multiples inspirations. Il revient à la fois à la racine du studio, et son exigence en fluidité 3D, mais aussi à une qualité d’expression et une vivacité empruntée à l’animation est-asiatique. Un vent de fraîcheur appréciable qui montre une pluralité et un grand écart dans les dernières productions Pixar, entre pur conte métaphysique et histoires de la vie quotidienne profondément authentiques. Alerte rouge fait partie de cette seconde catégorie, en suivant cette bande de collégiennes du début des années 2000 entre passions kitchs et bouleversements de l’adolescence.
En créant une œuvre sur le passage entre l’enfance et l’adolescence sans tabou, Domee Shi relève son défi et propose un long-métrage à la fois divertissant et aux thématiques essentielles mais peu abordées de la puberté féminine : que ce soit les débuts de l’intérêt pour la sexualité, les règles, mais aussi les paradoxes entre envie de grandir et inquiétudes face à la prise d’indépendance. Outre ses innovations graphiques donc, on retrouve plus de liberté dans ce long-métrage dont l’on déplore une nouvelle fois son sacrifice sur plateforme. Témoignage supplémentaire du conservatisme chez Disney, par ailleurs récemment dénoncé sur d’autres sujets par les salariés de Pixar.
Alerte rouge fait partie de cette nouvelle vague du cinéma jeunesse qui propose de nouvelles réalités et moyens de s’identifier, en cherchant à inclure un plus grand nombre sans laisser une tranche de la population de côté. Traitant de l’attachement moral à la question familiale, en particulier au sein d’une famille d’origine chinoise, il est un profond message de tendresse vers les adolescents à la recherche d’émancipation. Impossible de ne pas penser à Encanto qui abordait également ces thématiques de blessures familiales et d’amour au sein d’une communauté, avec des personnages devant malgré tout se construire comme individus à part entière. On retrouve alors des thèmes chers à la réalisatrice Domee Shi qui se décelaient déjà dans son court-métrage Bao, en particulier cette relation mère-fille au milieu de problématiques tumultueuses.
En outre, la culture chinoise y est très présente ne serait-ce que dans son aspect fantastique. Mais contrairement à d’autres productions Disney assez superficielles à ce sujet, et destinées à ce marché, c’est l’expérience personnelle de Domee Shi qui est mise en avant. L’empreinte de la réalisatrice est d’autant plus palpable que le film est de son propre aveu semi-autobiographique. Une touche très intime qui se ressent au visionnage et qui porte en elle une sensibilité nouvelle pour une production Pixar. Qui, de manière inattendue, facilite encore plus l’identification à son personnage de Meilin.
En très peu de temps, Domee Shi est déjà devenue une réalisatrice à la maîtrise et la modernité sans égale, dont Pixar à su saisir le talent comme celui d’autres nouveaux créateurs depuis deux ans. Film profondément divertissant et inspirant, Alerte Rouge porte en lui un regard tendre sur l’adolescence, et son histoire profondément personnelle ne le rend que plus universel. Bien que sacrifié par Disney vers une sortie par la petite porte, il demeure un long-métrage que les plus âgés de la génération Z et les millenials auraient aimé avoir enfant et qui marquera, à coup sur, les adultes de demain.