Critique d’Annihilation

Ballade en auto-destruction

Un film de
Alex Garland
Sortie
12 mars 2018
Diffusion
Netflix

Le Lundi 12 Mars, Netflix nous a permis, en tant qu’unique distributeur du film en Europe, de découvrir l’adaptation d’un des meilleurs romans de science-fiction sortis en 2016. Un roman à la poésie onirique, une ballade dans une « Zone X » où se mêlent la beauté de la découverte et l’angoisse des réponses aux questions que l’on s’y pose.

L’adaptation d’un tel roman peut paraître, à la fois, comme une évidence tant le livre est visuel et laisse libre cours à des symbolismes forts, et comme un projet dit « casse-gueule », car il reste une expérience de lecture lente et enivrante où il se passe, en termes hollywoodiens, peu de chose. Voilà pourquoi le projet de réaliser ce film en laissant autant de moyens et de libertés à Alex Garland, était tout aussi énigmatique que le roman. Mais après une année catastrophique au box office et influencée par les retours des projections test qui décrivaient le film comme « trop compliqué » et ne voulant pas reproduire l’échec de Mother! Paramount, qui produit le film et le distribue aux Etats-Unis, a pris la décision de ne pas le faire sortir en salles à l’étranger. C’est pourquoi les droits sont revenus à Netflix, géant de la V.O.D. qui s’enracine toujours plus en Europe. Le résultat final rejoint-il les attentes du public ?

Lena, biologiste et ancienne militaire, participe à une mission destinée à comprendre ce qui est arrivé à son mari dans une zone où un mystérieux et sinistre phénomène se propage le long des côtes américaines. Une fois sur place, les membres de l’expédition découvrent que paysages et créatures ont subi des mutations, et malgré la beauté des lieux, le danger règne et menace leur vie, mais aussi leur intégrité mentale.

Une mauvaise adaptation…

Ce premier tome de la Trilogie du Rempart Sud de Jeff VanDerMeer a marqué et marque toujours les esprits de ceux qui aiment lire une science-fiction où l’humanité subit, ébahie, ce qui l’entoure. Une émotion partagée avec le lecteur qui, grâce à des images fortes et des descriptions efficaces, se retrouve dans la même position que la protagoniste : perdu, curieux avec une réelle envie de continuer dans cette zone X et, donc, dans ce roman.

Annihilation le film est loin du roman en lui-même. Il se distancie de ses problématiques, de ses personnages, mais également de ses scènes essentielles qui portent l’ouvrage de par leurs puissances évocatrices et de questionnement sur la Zone X. Il est dommage, d’ailleurs, de ne pas y retrouver tout ce qui a fait l’œuvre originale. Dommageable, car le film d’Alex Garland propose une vision quasi à l’opposé de l’onirisme lent et calme du roman notamment par l’utilisation de l’action, à quelques moments, au détriment d’une angoisse lourde et sourde. De celle, qui vous prend et ne vous lâche pas. Ainsi, la vitesse des nœuds de l’intrigue se fait avec une rapidité préjudiciable pour le sentiment du spectateur.

« C’est le jeu », sommes nous tentés de dire. En effet, la problématique de l’adaptation veut et se définit même par le fait qu’il s’agit de transposer une œuvre vers un autre médium qui possède, lui, ses propres codes et outils pour raconter une histoire. Ainsi, en vouloir à ce film d’être une mauvaise adaptation serait, au final, ne pas comprendre le réel enjeu de réécriture intrinsèque au fait d’adapter. La transcription d’une lenteur littéraire en une vitesse plus évocatrice dans un film peut être légitimée, tout comme cette volonté de transformer cette randonnée en un trail (une course de montagne). Car adapter, c’est aussi proposer sa propre vision librement…

…mais un bon film

Le film d’Alex Garland possède de réelles qualités qu’il serait dommage d’oublier sur l’autel de l’adaptation. Le casting possède une véritable identité et, même s’il délaisse la froideur caractéristique des personnages du roman pour susciter l’empathie du spectateur, de réelles gueules. Une Natalie Portman superbe de sévérité et une Jennifer Jason Leigh angoissante. Chapeau, également aux trois autres protagonistes : Gina Rodriguez, Tessa Thompson et Tuva Novotny réellement sublimes dans la fragilité qu’elles proposent. Parlons également d’Oscar Isaac qui nous rappelle ici toute la violence, la folie et l’étrangeté dont il est capable. 

La caractérisation des personnages est tout aussi intéressante que le casting et souligne même la thématique du film : celle de l’autodestruction innée de l’être humain. Chacune des personnages a, un jour ou l’autre, tenté de s’autodétruire. D’une façon ou d’une autre. Toutes portent le fardeau d’une tragédie, d’une faute qui pèse sur leurs âmes et leurs pas. Toutes possèdent une motivation pour pénétrer dans le « Miroitement » (la Zone X dans le film).

Le Miroitement. Alex Garland fait de la Zone X une contrée colorée, où les repères temporels se dissolvent dès qu’on y pose les pieds ; un lieu remplit de fleurs aux couleurs étranges, au silence prenant et lourd remplit de menaces en attentes. Car le danger est partout et explicité de la plus grande des manières par des créatures aussi inquiétantes que dangereuses. La beauté de cette zone est sublimée par des trouvailles intéressantes du réalisateur, qui soulignent l’inspiration du roman. Des visions d’horreur possèdent également une certaine part de poésie, de cet onirisme dont le livre faisait preuve à maintes reprises, qui resteront gravés dans la mémoire des spectateurs. La scène de la piscine prouve à elle seule la beauté de la mise en place d’une intrigue et d’une résolution qui, loin de livrer des réponses, pousse encore plus loin l’incompréhension dans une vision sublime et pourtant horrible. Le jeu sur ces deux aspects opposés renforce la qualité du film à laisser le flou. Un flou bienvenu qui fait de ces visions un renforcement clair de l’expérience du film.

Car Annihilation est une expérience filmique. Visuelle ou bien analytique. Le film est marqué par ses symbolismes, ses questionnements et par la vision miroité qu’il offre du mond et de l’humanité. Alex Garland ne nous propose aucune réponse claire mais seulement le reflet de nos interrogations : s’agit-il d’une entité bienfaisante ? Ou bien tout l’inverse ? Il s’agit, sans en douter, d’un film à la visée Lovecraftienne : dans la découverte hypnotique d’une zone inconnue, dans la petitesse de l’humanité par rapport à des entités qu’il ne comprend pas, dont il redoute même l’existence et la signification. Une adaptation, certes ratée, mais un film qui reste bon. Même si des défauts sont présents, il reste une proposition intéressante dans la science-fiction actuelle.

4

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