FESTIVAL DE CANNES 2021 – Scénariste de métier, Eskil Vogt est présent en compétition officielle à travers le très beau Julie (en 12 chapitres) de son ami Joachim Trier qu’il a co-écrit. Mais c’est en tant que réalisateur qu’il évolue dans la section Un Certain Regard, avec The Innocents, un film fantastique qui flirte avec l’horreur. Sa projection remarquée sur la Croisette commence déjà à lui construire une réputation qui pourrait bien grandir au fil des semaines.
Dans la quiétude d’une banlieue assoupie par l’été nordique, quatre enfants se découvrent d’étonnants pouvoirs qu’ils convoquent innocemment dans leurs jeux, loin du regard des adultes. Alors qu’ils explorent leurs nouvelles aptitudes dans la forêt et le parc environnants, leurs distractions prennent peu à peu une tournure inquiétante.
Quand on évoque le fantastique et les enfants, nos souvenirs cinématographiques convoquent une imagerie bien particulière, des inquiétants regards vides et terrifiants… Mais, The Innocents en prend le contre-pied et nous met face à des personnages aussi amusés que nous par la découverte de leurs pouvoirs. Une grande partie du film est en effet consacré à un aspect didactique de ce groupe, délaissé par leurs parents pendant les vacances d’été. De cette bande va naître une réflexion pertinente sur la découverte de leurs facultés en parallèle de celle de leurs corps.
Jeux d’enfants
Dans une critique à peine cachée de la société norvégienne, les personnages de The Innocents évoluent dans une cité HLM filmée comme un camp de vacances bucolique. De ce décalage va naître une ambiance presque malsaine qui sert de décor à la progression du long-métrage. Terrain d’expérimentation, ces longs immeubles vont progressivement ressembler à des sources de dangers pour eux comme pour nous. Si le film arrive à nous faire craindre chaque angle mort, c’est grâce à la réalisation d’Eskil Vogt. Parfaitement maîtrisée, elle joue également du contraste entre de longs plans aériens et fluides et la violence de certaines scènes. Tout se construit en décalage parallèle et constant avec la narration.
Pour incarner cette lente montée en tension, le film peut compter sur ses incroyables jeunes actrices et acteurs. Rarement l’on aura vu de telles performances, aussi incarnées que naturelles. Vogt peut remercier son casting de talent et complémentaire, qui permet à The Innocents d’insidieusement semer le doute chez le public. A la photographie, Sturla Brandth Grøvlen arrive à créer une sublime harmonie froide où l’humanité semble peu à peu s’effacer. Une harmonie initiale qui va faire éclore les pensées les plus sombres de ces enfants, comme une vitre sans tain tournée vers nous.
Inquiétant dans sa beauté froide, The Innocents se construit dans un long parallèle à première vue innocent. Porté par son casting extraordinaire, le film d’Eskil Vogt s’envole dans une seconde partie dérangeante et inspirée, où le fantastique côtoie une vie quotidienne plus sombre qu’elle en à l’air. Sorte d’étude de la société norvégienne à travers ce groupe laissé pour compte, The Innocents prouve une nouvelle fois toute la pertinence et la maitrise du cinéma fantastique quand il est inspiré et porté par une vision.