Dans la masse des blockbusters de suites et d’univers étendus, quelques projets sortent régulièrement du bois : des films d’action à gros budget et têtes d’affiches, sans licence associée. C’est le cas de The Northman, introduit par la filmographie sans fautes de Robert Eggers, réalisateur américain encore jeune mais déjà très réputé. Son premier long-métrage, The Witch était un film d’horreur caverneux, lugubre et violent qui plongeait dans les tensions et les violences d’une famille de puritains isolés au milieu de nulle part. The Lighthouse, une ode aux séries B d’antan qui explorait la masculinité, l’aliénation et l’isolement de gardiens de phares aux portes de la folie. Chacun de ces films avait marqué par son style unique, par les performances d’acteurs et d’actrices intenses et décalées et par des ambiances lourdes. The Northman est donc libre de toutes attaches narratives ou commerciales mais doit faire face à des attentes élevées suite au succès critique immense de ces deux œuvres.
Le jeune prince Amleth vient tout juste de devenir un homme quand son père est brutalement assassiné par son oncle qui s’empare alors de la mère du garçon. Amleth fuit son royaume insulaire en barque, en jurant de se venger. Deux décennies plus tard, Amleth est devenu un berserkr, un guerrier viking capable d’entrer dans une fureur bestiale, qui pille et met à feu, avec ses frères berserkir, des villages slaves jusqu’à ce qu’une devineresse lui rappelle son vœu de venger son père, de secourir sa mère et de tuer son oncle. Il embarque alors sur un bateau pour l’Islande et entre, avec l’aide d’Olga, une jeune Slave prise comme esclave, dans la ferme de son oncle, en se faisant lui aussi passer pour un esclave, avec l’intention d’y perpétrer sa vengeance.
Être ou ne pas être une brute…
À partir de genres bien établis, un film d’horreur mystique et un huis clos à l’ancienne, Robert Eggers s’est spécialisé dans des réinterprétations sombres et ésotériques. The Northman s’inscrit pleinement dans cette démarche, avec un film épique. Il est entièrement dévoué à sa forme bien particulière et surtout à sa narration singulière. Tout en prophéties, en mythes et en grandiose, il se rapproche des chants anciens avec les déclamations dithyrambiques et leurs morales obscures. Robert Eggers porte aussi son regard sur des âges sombres, des périodes et des lieux embrumés. Ces moments où l’Histoire et le conte se confondent lui permettent de danser sur le fil du surnaturel et de distiller de la sorcellerie tout en maintenant un certain réalisme historique. Ces moments de mystère dans des décors très terre-à-terre et soutenus par des recherches étendues créent cette ambiance si unique vantée précédemment.
The Northman est aussi un concentré de violence brute, de virilité nordique et de mythologie païenne, le tout enrobant une histoire de violence en soit typique du cinéma d’action (à l’origine du Hamlet de William Shakespeare). Mais quelque part, dans cette débauche de masculinité, Robert Eggers perd finalement beaucoup de nuances. The Lighthouse traitait aussi certains de ces thèmes, mais avec plus de critique et d’analyse. Dans ce métrage aux airs d’album de Manowar, où on loue l’héroïsme et la force brute, la critique de la masculinité se retrouve réduite à peau de chagrin. Et dans une époque où l’imaginaire viking et la mythologie scandinave est aussi régulièrement instrumentalisée par l’extrême droite européenne et américaine, une lettre d’amour peu nuancée et sans grand recul au berserker viril et à son monde peut sembler complètement irresponsable.
Mais on ne peut tout de même qu’admirer la réalisation et tout ce qui va avec, qui fait de The Northman un blockbuster à part. Les costumes sont sublimes, les décors magnifiques et la réalisation aussi grandiloquente que l’écriture. Eggers fait tout pour rendre les paysages du nord, les rites incongrus et les tableaux lugubres aussi spectaculaires que possibles. Les scènes d’action dans des plans-séquences qui ne détournent jamais le regard face à un massacre sont absolument saisissantes. Tous les acteurs et actrices servent aussi la radicalité du film, incarnant ces personnages prisonniers de leur rôle dans cette tragédie tissée par le destin. Et c’est peut-être aussi le gros point faible de The Northman : sa démesure. Tout est si intense, tout est si dramatique que finalement rien ne l’est vraiment. Il n’y a pas de moment simple de tendresse, de calme, de vérité. Tout sonne aussi faux que dans un conte, ce qui donne au film sa puissance, mais éloigne aussi le spectateur. De plus, l’histoire énoncée tout du long du film sous la forme de prophétie se sabote elle-même et devient prévisible. Passé l’émerveillement inévitable pour le magnétisme du film, ses excès créent une certaine lassitude, en plus de masquer beaucoup de son sens.
Pour autant, il faut se réjouir face à The Northman ! Car le film reste une pierre vers un possible renouveau des blockbuster d’action. Régulièrement, des auteurs réussissent à monter des projets de grande ampleur en faisant fi des tendances, ou en composant autant avec leur identité propre qu’avec les attentes du studio. Coup sur coup, Denis Villeneuve avec Dune, Matt Reeves avec The Batman et donc Roger Eggers avec The Northman auront réussi ce tour de force. Le film manque de recul et n’a pas l’élégance terne de The Witch ou la complexité psychologique et métaphorique de The Lighthouse. Mais il a sa démesure, son langage singulier et son ton bien à lui. Il a des séquences à couper le souffle, des images d’une force herculéenne. C’est déjà bien plus que beaucoup de films d’actions contemporains. Et par moments, c’est beau.