Critique de Tirailleurs

Un film de
Mathieu Vadepied
Sortie
4 janvier 2023
Diffusion
Cinéma

FESTIVAL DE CANNES 2022 – Difficile de ne pas penser à Indigènes, seize ans après sa présentation en compétition officielle, quand s’ouvre Tirailleurs. Bientôt deux décennies plus tard, la question de l’héritage colonial n’a jamais été aussi brûlante et le cinéma français, pourtant maître des grands discours, n’a jamais trouvé bon de s’emparer des ces histoires et de confronter ce passé. Ce second long-métrage de Mathieu Vadepied l’investit donc d’une lourde mission, à la fois didactique et politique, sur le sort des tirailleurs sénégalais durant la Première Guerre mondiale.

1917. Bakary Diallo s’enrôle dans l’armée française pour rejoindre Thierno, son fils de 17 ans, qui a été recruté de force. Envoyés sur le front, père et fils vont devoir affronter la guerre ensemble. Galvanisé par la fougue de son officier qui veut le conduire au cœur de la bataille, Thierno va s’affranchir et apprendre à devenir un homme, tandis que Bakary va tout faire pour l’arracher aux combats et le ramener sain et sauf.

Un an après l’ouverture de la sélection Un certain regard avec un film de guerre franco-japonais des plus audacieux, Onoda, c’est cette fois-ci le sort des tirailleurs sénégalais qui inaugure la compétition. Interrogeant de plus en plus sur la frontière poreuse de cette sélection, il est évident que le choix de Tirailleurs n’est pas anodin et que cette co-production franco-sénégalaise braque les projecteurs sur une période peu explorée de l’histoire de France.

L’Histoire oubliée

Au centre de Tirailleurs et de sa portée symbolique, c’est le producteur et acteur Omar Sy qui prend la responsabilité de cette mise en lumière. En utilisant sa notoriété pour porter un choix de film audacieux, alors qu’il se retrouve dans un tournant de sa carrière, il prouve qu’il n’est jamais là où on l’attend. Et en incarnant un père devenu soldat qui va tout faire pour protéger son fils, sa petite histoire l’embarque dans la grande : celle de la bataille de Verdun et des soldats étrangers. Un choix dramatique qui tend plus vers la facilité et amène à effacer petit à petit l’aspect politique du film, réduit à l’existence même du film et non à quelque message en son coeur. Car sans attendre un brûlot, on se demande si le film ne fait pas plutôt figure d’ouverture pour ceux qui viendront après lui (mais c’est également ce qu’on pensait après Indigènes, et il aura fallu attendre seize ans pour Tirailleurs).

© Marie-Clémence David / Unité – Korokoro – Gaumont – France 3 Cinéma – Mille Soleils – Sypossible Africa

En recentrant son récit sur cette relation père-fils, Tirailleurs gagne en émotion ce qu’il perd en puissance. Une puissance pourtant portée par la réalisation quasi-mélancolique de Mathieu Vadepied qui observe la violence de la guerre à travers les yeux de ceux qui vont tout faire pour la fuir. Soutenu par la musique peu inspirée mais performative d’Alexandre Desplat, le film semble tiraillé entre son envie première de cinéma et le poids de ses responsabilités, et en voulant faire au mieux il se compromet et rate le potentiel qui lui tendait les bras. Les dialogues en wolof et peul sont finalement les seuls éléments qui différencient Tirailleurs d’un film de guerre quasi-générique.

Si le film de Mathieu Vadepied est loin d’être raté, il surprend par sa prudence face à un sujet si brûlant. En n’adressant jamais le contexte, le traitement ou la reconnaissance particulière des tirailleurs sénégalais, Tirailleurs en devient consensuel, sage et finalement décevant sur un sujet si important. En ressort malgré tout un film de guerre bien exécuté là où tous les ingrédients d’un grand film étaient pourtant à portée de main.

3

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