Cinephilo : pourquoi Tarantino divise les cinéphiles ?

S’il y a bien un réalisateur qui a agité le paysage cinématographique mondial dans tous les sens depuis plus de 20 ans, c’est bien Quentin Tarantino.

Connu pour ses films violents, aux dialogues ciselés et aux performances d’acteurs fantasques, le réalisateur américain a sa patte bien à lui, cela ne fait aucun doute. Cependant, Tarantino a un fort pour diviser le public. Au-delà de ses déclarations pleines de sarcasme ou ses pieds-de-nez fait à l’intelligentsia du cinéma (par exemple le festival de Cannes pour Pulp Fiction, où Tarantino s’était gratifié d’un doigt d’honneur à la foule qui le sifflait après sa victoire de la palme d’or), c’est aussi le contenu de ses films qui crée la liesse ou le rejet.

Pour mieux comprendre ce phénomène, attardons-nous sur la recette d’un film de Tarantino. Pour cela, il vous faudra :

  • Des références au cinéma de genre ou de série B
  • Des acteurs stars pris à contre-emploi
  • Une violence sans filtre
  • Des dialogues percutants et en grande quantité
  • Une B-O marquante
  • Des chapitres ou des parties
  • De l’humour noir et cynique à souhait

La tendance à répéter ce schéma est tellement forte que l’on peut reproduire cette liste avec des exemples directement pris dans sa filmographie de :

  • Les westerns de Leone dans Les Huit salopards
  • De Niro dans Jackie Brown
  • Kill Bill et ses effusions de sang par hectolitres
  • Reservoir Dogs et la scène du restaurant
  • La B-O de Pulp Fiction
  • Les Huit salopards ou Kill Bill
  • Travolta et Jackson dans leur voiture, Brad Pitt et les nazis

Bref, la recette est limpide et immédiatement identifiable. C’est simple, lorsqu’on regarde un Tarantino, on le sait tout de suite. Là où d’autres grands réalisateurs ont presque toujours un film qui dénote avec le reste de leur filmographie (Spielberg et son méconnu 1941, pour ne citer que lui), Tarantino semble n’être jamais sorti de ses sentiers battus. Pour le bonheur de ses admirateurs, et pour la lassitude croissante de ses détracteurs.

De même avec le casting, on est amené à croiser souvent les mêmes têtes : Samuel L. Jackson, Christopher Waltz, Tim Roth, Michael Madsen, etc. la liste est longue, mais surtout de qualité. Tout cela ajoute encore à cette impression de répétition, de variation d’un même thème. Cependant, cela n’est en rien une critique négative ou positive, puisque de grands cinéastes sont connus pour leur capacité à raconter la même histoire, tout en apportant toujours de nouveaux éléments (Martin Scorsese et le « rise and fall », Woody Allen et ses romances impossibles…). Mais alors, quel est le fameux thème de Tarantino ? Quel est le propos de sa filmographie ?

Il semblerait que la réponse soit encore obscure, même avec près d’une dizaine de films, sans compter ses œuvres en collaboration avec d’autres réalisateurs. Un comble pour un cinéaste connu pour écrire ses scénarios, et dont la plume est à l’origine de nombreux dialogues devenus cultes. Nous avons vu précédemment que le style Tarantino est unique, très travaillé et identifiable entre mille. En est-il autant de sa vision d’auteur ?

Tout d’abord, le premier thème qui semble revenir dans tous ses films, c’est la vengeance. C’est elle qui va orienter le récit, puis justifier les effusions de sang. Notre protagoniste (ou nos protagonistes comme souvent) est en quête de vengeance, et fera tout pour obtenir justice. Une justice qu’il rendra lui-même, dans une violence sans limite (Kill Bill, Django Unchained…). Dans un film de Tarantino, la part belle est donnée aux outsiders, à ceux qu’on n’attend pas. Le réalisateur américain semble avoir une tendresse particulière pour les losers, les victimes, qui deviennent dans ces films, au fur et à mesure de l’intrigue, des héros charismatiques. Plus le héros a souffert, plus son ascension sera forte, et plus sa vengeance sera terrible. D’ailleurs, la vengeance est souvent le seul moteur du héros.

En effet, son écriture donne la part belle aux dialogues. Parfois au détriment d’une caractérisation plus poussée de ses personnages, sur le plan de leurs émotions ou de leurs aspirations. C’est ce qui donne à ses films cette dynamique très forte, le récit ne perdant pas de temps sur les aspirations profondes de ses personnages. Ce qui compte, c’est l’action, l’instant T, et comment le héros va passer cette épreuve. On commence alors à comprendre ce qui peut bloquer certains spectateurs à l’égard du cinéma de Tarantino : une violence gratuite.

C’est probablement la critique qu’il a le plus subit depuis ses débuts : la violence (qu’elle soit verbale ou physique) dans ses films serait gratuite, injustifiée, et donc malsaine. Une violence qui serait jouissive pour le réalisateur et pour une partie du public. Une esthétisation dangereuse de la violence. Ce n’est pas le premier et certainement pas le dernier à subir cette critique, un certain Gaspard Noé en a aussi fait les frais. Mais alors, est-ce que cette accusation est véritablement justifiée ? Lorsque l’on demande à l’intéressé de s’expliquer, sa réponse est plus ou moins : « je fais ça parce que c’est cool ». Bref, ne comptez pas sur Tarantino pour se justifier, il fait du cinéma pour s’amuser, pour que le public en ait pour son argent. La violence n’est qu’un outil, et il ne se gêne pas pour l’utiliser.

Commence alors à se dessiner une réponse à notre question initiale. Tarantino, c’est un peu le prototype de l’anti-académisme. Sa vision d’auteur passe presque toujours par ses visuels, il se fiche du politiquement correct et fait du cinéma de pur divertissement. Prenez tout cela et vous obtenez un excellent cocktail pour irriter les académiciens du cinéma. Ces académiciens qui ont dû, parfois à contre-cœur, récompenser les films du réalisateur fantasque (palme d’or, oscar…).

Tarantino divise chez les gens du métier, autant que chez les cinéphiles lambdas. Car « QT » est résolument cinéphile lui aussi, il s’amuse à instiller dans ses œuvres aussi bien des références à des monuments du cinéma (Sergio Leone, Akira Kurosawa, Robert Aldrich…) qu’à tout un pan de la « sous-culture » cinématographique, de la série B à la série Z.

Tarantino l’a toujours dit, pour lui, le vrai cinéphile ne se contente pas d’aimer les films qu’il trouve bons. Non, le vrai cinéphile aime le cinéma dans son ensemble, et le célèbre, quelles que soient ses récompenses, sa provenance ou son prestige. Alors, on aime ou on n’aime pas. On admire ou on reste de marbre. On est choqué ou surpris.

Pendant ce temps, il continue de marquer son époque… Et son prochain film, Once upon a time in Hollywood, semble confirmer notre analyse : un casting prestigieux, un titre qui fait référence à la trilogie de Sergio Leone, un scénario mêlant humour noir, violence et personnages de losers… Décidément, on ne se refait pas !

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