La saison des cérémonies de remise de prix pointe timidement le bout de son nez, sans repères et dans l’incertitude la plus totale quant au futur de la profession. Dans ce contexte si particulier des premiers noms semblent émerger et des favoris se forment. Parmi eux : Regina King, après son Oscar de meilleure actrice dans un second rôle pour Si Beale street pouvait parler elle se lance dans la réalisation avec son premier film : One Night in Miami…
Dans une trajectoire qui rappelle celle de Joel Edgerton, l’actrice qui s’est illustrée à la télévision avant de conquérir le cinéma semble bien déterminée à se faire une place derrière la caméra. Pour son premier film, elle adapte la pièce du même nom : un huit-clos bavard et engagé écrit par Kemp Powers qui œuvre également sur le film en tant que scénariste.
Miami, le 25 février 1964, le jeune Cassius Clay (futur Mohamed Ali) devient champion du monde de boxe, catégorie poids lourds. A cause de la ségrégation raciale, il doit fêter sa victoire à l’écart des autres sportifs. Entouré de ses amis, l’activiste Malcolm X, le chanteur Sam Cooke et la star du football Jim Brown, Cassius Clay décide de définir un nouveau monde.
Dans la chaleur de la nuit
One Night in Miami… s’ouvre sur une sage présentation de ses personnages : Regina King nous expose les enjeux de ces quatre hommes aux parcours exceptionnels, protagoniste par protagoniste, séquence par séquence. De ces simples success story à l’américaine, le film trace des portraits bouleversés par le racisme dans la société des années 1960. Et très vite, la simplicité de la mise en scène nous fait baisser la garde avant de revenir avec fracas, dans un contraste fort, et d’illustrer avec pertinence la violence insidieuse du racisme qui traverse leurs vies. Le cœur du film bat dans sa seconde partie, avec cette rencontre au sommet perdue dans une modeste chambre de motel. Pour introduire ce propos, la réalisatrice filme cette nuit de février avec élégance et hauteur, donnant à cette soirée une portée quasi-magique, hors du temps. Entre intervention du destin et sentiment d’évidence. La caméra flotte d’un personnage à l’autre avant d’accompagner la longue gradation et la gravité des discussions qui vont en naître.
Car c’est derrière les portes de cette chambre que le talent de Kemp Powers va s’illustrer. Journaliste de métier, il a marqué l’année 2020 en co-réalisant Soul et a gagné nos cœurs jusqu’à en imprégner notre top annuel. Adapté de sa propre pièce de théâtre, le scénario de One night in Miami… impressionne dans sa portée qui touche au mythique. En effet, Malcolm X, Mohamed Ali, Jim Brown et Sam Cooke se sont bien réunis cette nuit-là, mais la teneur de leur rencontre leur appartient encore à ce jour, ce qui est montré dans le film touche de la fiction et du talent de Powers. Il crée avec habilité des conflits d’opinions au sein de ce groupe aux personnalités fortes, pour en questionner les luttes, leurs motivations et leur propre militantisme. Percutants et habiles, les dialogues fusent entre ces différentes visions d’un même combat, et prennent à partie le spectateur qui est toujours considéré, et investi du rôle de juge par instant. De cette rencontre au sommet découle une longue discussion politique, personnelle et philosophique. La volonté de s’adresser au plus grand nombre est louable mais les intentions didactiques et ses ficelles sont visibles, créant des dialogues lourds et peu naturels par instant.
Le voyage du héros
En plaçant quatre figures majeures de la culture noire américaine au cœur du film, One night in Miami… prend à contrepied la tendance actuelle et ne sacrifie aucun des arcs narratifs de ses personnages. Chacun, à la manière d’un débat, aura l’occasion de présenter son point de vue et de l’argumenter. Il ne va sans dire que Malcolm X est au centre des discussions et conduit ce groupe en cherchant à convaincre par la force de ses mots ses amis les plus réticents. S’affrontent alors sous nos yeux deux visions distinctes du militantisme : entre frontalité et intégration, remettant en question les positions de pouvoir et questionnant la responsabilité des artistes.
Ce texte fort est sublimé par les performances magistrales de son groupe d’acteurs, tout en sensibilité. On pense évidemment à Kingsley Ben-Adir dans le rôle complexe et dense de Malcolm X, qui impressionne dans son interprétation tiraillée entre son passé et ses idées. Mais c’est l’ensemble qui fonctionne à merveille, dirigé d’une main de maitre par Regina King, leurs personnalités d’acteurs s’effacent pour devenir le personnage, à l’image de Eli Goree en Mohamed Ali. Car là où Regina King a visé juste, c’est en choisissant des acteurs moins connus, ou en tout cas pas enfermés dans un rôle ou un type de rôle marquant.
Premier long-métrage impressionnant, One night in Miami… souffre de ses aspects trop didactiques par instants, tiraillé entre son envie de cinéma évidente et ses bonnes intentions. Mais malgré tout, la puissance de ses dialogues et de la construction de ses raisonnements nous emporte dans ces discussions passionnantes qui nous poussent à la réflexion. En utilisant ces figures pour questionner nos luttes actuelles, et la pression sociale qu’elles engendrent, le premier film de Regina King est une lettre d’amour à l’humain en lutte pour une cause qui le dépasse, mais avant tout qui lui tient à cœur.
One Night in Miami… est disponible depuis le 15 janvier sur Prime Video.